Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Fort Nox, la légende devient réalité (2)

 

 

Le présent article est la seconde partie d'un plus long article qui commence ici.

Il n'est pas absolument nécessaire d'avoir lu le premier pour comprendre celui-ci, qui sera plus récréatif et spéculatif, parce qu'avec moins voire pas du tout d'enjeux sur l'intrigue principale - sauf possiblement l'histoire du chevalier Symeon. 

 

 

 Avant de passer à la troisième grosse histoire de Fort Nox, celle qui concerne le Rat-coq, que je traiterai dans la troisième et dernière partie de cette analyse, nous allons faire un tour du côté des petites histoires, celles qui tiennent en une phrase, et qui font partie de la liste du début du chapitre. 

 

 

- SYMEON PRUNELLES-ETOILEES -

 

 

Ce château-là était celui (...) où Symeon Prunelles-étoilées l’aveugle avait vu se battre les chiens infernaux. 

 

 

 Puisque nous l'avons évoquée dans la première partie, revenons au légendaire chevalier Symeon Prunelles-étoilées. L'histoire qui le concerne comporte au moins trois personnages, car nous allons considérer les "chiens infernaux" comme des personnages à part entière. Ce n'est pas une entorse au texte, puisque le bestiaire de la saga est très riche et offre lui aussi divers degrés de lecture par ses liens avec les personnages proprement humains. La frontière entre humains et bêtes est d'ailleurs souvent très floue. D'autre part, il n'est pas rare que dans des contes, des humains soient représentés par des animaux. 

 

Mais commençons par Symeon. 

 Sa principale caractéristique physique est d'avoir remplacé ses yeux par des saphirs, et les "yeux de saphir" ont une occurrence concrète dans la saga : c'est ainsi que sont qualifiés les yeux d'un patrouilleur de la Garde de nuit mort, et qui est devenu un spectre "contrôlé" par les Autres, ou plus vraisemblablement "habité" par ceux qu'on appelle les Autres. 

Comme les morts relevés par les Autres ont tous cette caractéristique de yeux d'un bleu remarquable et glacé, cette piste risquerait d'être sans fin, tant elle recouvre de possibilités, mais GRRMartin nous offre heureusement quelques détails supplémentaires qui permettent de l'affiner.

Dans le prologue du tome 5 A Dance with Dragons, par exemple, une piqueuse sauvageonne se crève les yeux avant d'être tuée par les Autres et leurs créatures. Et lorsqu'elle se relève à nouveau -  comme spectre - on peut voir au fond de ses orbites vides la lueur bleue caractéristique des spectres animés par les Autres. Le texte ne laisse aucune ambiguïté sur le fait que ces yeux-là voient : 

 

 

Et dans les creux où avaient logé ses yeux, tremblotait une pâle lueur bleue, parant ses traits ingrats d’une beauté étrange qu’ils n’avaient jamais connue durant sa vie.
Elle me voit.

 

(derniers mots du Prologue, tome 5, A Dance with Dragons)

 

Le sauvageon Varamyr auquel est consacré ce prologue vient de mourir. Pour ne pas mourir totalement, il a tenté de s'emparer du corps de la sauvageonne, avant de se rabattre sur le loup dominant de sa meute. Varamyr était un "change-peau" ou "zoman", un humain capable d'habiter le corps d'autres êtres vivants. A la fin du chapitre, il a donc le sentiment d'être vu sous sa forme de loup (ou plutôt avec son esprit habitant le loup). 

 Ce loup est le dominant d'une petite meute qui comporte deux autres membres, et quelque temps plus tard, il sera à son tour vaincu en duel et dominé par Eté, le loup géant de Bran le Brisé. Les loups étant plus d'une fois qualifiés de chiens infernaux, il n'est pas impossible que la piqueuse sous sa forme de spectre retrouve les loups et cherche à se venger de Varamyr qui a tenté de la posséder.

 On aurait là une version très littérale de la légende, sans héroïsme et sans chevaliers. Une version réelle définitivement inconnue des bardes et autres chanteurs passeurs d'histoires, puisqu'ayant eu lieu au-delà du Mur, avec la forêt, les morts et les corbeaux pour seuls témoins. 

 

~~

 

 Il n'est pas rare chez GRRMartin que plusieurs interprétations cohabitent sans forcément s'exclure. A fortiori dans le cas de légendes qui peuvent être le concentré de plusieurs histoires différentes selon le développement qu'elles ont connu. Nous allons donc poursuivre notre enquête sur Symeon et explorer les autres possibilités.

 Par chance, il se trouve un personnage sans cesse associé aux saphirs, dont les yeux bleus sont si remarquables que leur beauté est un véritable refrain. C'est d'ailleurs la seule chose belle qu'on lui reconnaît unanimement : ce personnage est Brienne de Torth, la chevalière errante. Torth, surnommée l'île aux saphirs, et dont le seigneur suzerain porte le titre d'Etoile du soir. 

 Le monde est bien fait, non ? 

 Symeon est cité à une autre occasion, par Bran discutant avec le mestre de Winterfell, dans le premier tome, alors qu'il cherche un moyen de compenser son handicap pour devenir malgré tout un chevalier - son rêve le plus cher : 

 

"- Il était une fois, s’entêta Bran tandis que ser Rodrik, dans la cour, poursuivait sa mercuriale, un chevalier qui n’y voyait pas, Vieille Nan me l’a raconté. Même qu’en faisant tournoyer sa longue hampe équipée de lames aux deux bouts, il frappait deux types à la fois.

- Symeon Prunelles-d’Etoiles, commenta Luwin tout en reportant des chiffres sur son registre. Quand il perdit la vue, il plaça des saphirs d’astres dans ses orbites vides, à ce que prétendent du moins les rhapsodes. Ce n’est qu’un conte, Bran, un conte comme celui de Florian l’Idiot. Une fable issue de l’Age des Héros." Il fit clapper, tt tt, sa langue. "Oublie ces songeries... Elles n’aboutiront qu’à te briser le coeur."

(Bran VII, tome 1 A Game of Throne)

 

 Dans ce passage, c'est d'abord l'arme de Symeon qui retiendra notre attention, puisque c'est elle qui sert d'argument à Bran dont la problématique est de ne pas renoncer à son rêve d'être un chevalier malgré qu'il ait perdu l'usage de ses jambes. 

 Dans la saga, aucun chevalier n'a une arme telle que celle décrite. En revanche, il y a bien une situation qui concerne Brienne et qui pourrait faire dire qu'elle a presque été en mesure de frapper deux adversaires à la fois. Ce combat est raconté dans le tome 4 A Feast for Crows : guidée dans la forteresse en ruines des Murmures, Brienne tombe sur trois anciens mercenaires de la sanguinaire bande des Braves Compaings. Ils la prennent en tenailles et cherchent à l'acculer au bord de la falaise. Cependant, juste avant de les rencontrer, elle a entendu des voix lui suggérant d'utiliser son "épée magique", en réalité l'épée en acier valyrien donnée par Jaime et qui a été forgée à partir de Glace, l'épée des seigneurs Stark. L'acier valyrien a la particularité d'être très léger. Alliée à la rapidité de Brienne, cette épée produit alors son petit miracle et elle se débarrasse de deux des réîtres comme si elle avait effectivement une hampe avec une lame à chaque bout. 

 

Elle avait le sentiment que, dans son poing, Féale était vivante. Jamais elle n’avait été si rapide. Sa lame se réduisit à un éclair gris flou.

(Brienne IV, tome 4 A Feast for Crows)

 

 Cependant, l'honnêteté m'oblige à préciser que les deux réîtres ne sont pas touchés simultanément, ni dans le même mouvement du combat : il y a une pause plus ou moins longue entre chaque adversaire. Je n'irai donc pas soutenir mordicus que l'épée "magique" est celle de Symeon entre les mains de Brienne.  

 D'autre part, si Brienne a bien de magnifiques yeux bleus, jamais elle n'a été aveugle ou aveuglée physiquement de quelque manière que ce soit. Ce sera peut-être le cas dans les tomes ultérieurs, mais cela obligerait à renverser l'histoire de Symeon et à en altérer le sens : Syméon était d'abord aveugle, puis il a placé des saphirs dans ses yeux pour y voir plus clair. Ici, Brienne perdrait ses saphirs en même temps que la vue.

Cependant, sur le plan métaphorique, Brienne est bel et bien aveugle à de nombreuses occasions, dans le prolongement d'un trait spécifique de son caractère, qui est comme celui de Duncan le Grand (son très probable glorieux ancêtre, Lord Commandant de la Garde Blanche du roi Aegon V Targaryen) : "l'esprit épais comme un mur". Ainsi, elle passe à côté de Sandor Clegane sans le reconnaître et sans comprendre l'histoire que lui raconte le Doyen de l'île de Repose à son propos; elle est amoureuse de Renly Baratheon, qui n'est qu'un séducteur comme bien d'autres uniquement préoccupé d'être aimé et adulé; toute sa quête dans le Conflans consiste à retrouver des personnages cachés aux yeux de tous, comme invisibles : les filles Stark, louves de Winterfell (et nous retrouvons là l'histoire des chiens infernaux, d'autant qu'Arya et Sansa étaient coutumières des disputes, la plus grave ayant justement eu lieu dans le Conflans et ayant abouti à la perte de chacune des louves des fillettes). Brienne retrouve cependant leur mère à toutes les deux. C'est aussi elle qui change son regard sur Jaime Lannister qu'elle cesse d'appeler "Régicide" après qu'il lui a confié les raisons pour lesquelles il avait tué le roi Aerys le Fol, et après qu'il l'a sauvée de la fosse à l'ours. Tout son arc narratif est traversé par ce thème de la recherche de l'invisible et la découverte du vrai visage du monde, ou tout au moins de son visage dans le monde situé de l'autre côté du "mur", au-delà des vivants : dans la saga, seuls les fous, les prophètes, les morts et quelques élus qui le payent cher ont accès à cette vision. 

 Mais puisque chez GRRMartin, une interprétation concrète accompagne toujours une interprétation métaphorique, Brienne ressemble pour le moment à une piste incomplète. Je vais la laisser de côté, j'y reviendrai plus tard. 

 

Après la piste "saphirs", voyons donc où mène la piste "aveugle".

Là encore, nous avons de la chance, puisqu'un personnage devient bien physiquement aveugle pendant un certain temps : il s'agit d'Arya Stark, lors de son apprentissage chez les Sans-visage, à Braavos. 

 Elle a alors un bâton long comme une hampe avec lequel elle est entraînée à se battre - à l'aveugle - en donnant des coups à droite et à gauche selon où ses autres sens détectent le ou les adversaires.

 

 

En dernier lieu, elle empoigna son bâton. Il mesurait cinq pieds de long, était mince et souple, épais comme son pouce, avec du cuir pour envelopper la hampe à un pied du sommet. Mieux que des yeux, une fois qu’on apprend à s’en servir, lui avait assuré la gamine abandonnée.
C’était un mensonge. Ils lui mentaient souvent, pour la mettre à l’épreuve. Aucun bâton ne valait une paire d’yeux. Mais c’était un bon instrument à avoir, aussi le gardait-elle toujours près d’elle. 

(Chap. La petite aveugle, tome 5 A Dance with Dragons)

 

 Pour information, la "gamine abandonnée" est une prêtresse de la maison du Noir et du Blanc (le temple des Sans-visage), dont Arya ignore le nom véritable et qu'elle a pris l'habitude de surnommer ainsi par rapport à son apparence. 

 En dehors du fait qu'il n'est pas doté de lames, le bâton d'aveugle d'Arya peut bien rappeler celui de Symeon, et mieux encore, il pourrait remplacer des yeux si on sait s'en servir. Arya ne croit pas cette dernière assertion, ce qui la rapproche encore du chevalier légendaire, qui se serait doté d'une paire d'yeux factices pour compenser son handicap. 

Je dois ici faire une petite incursion du côté des pierres précieuses dans la saga : elles sont le plus souvent associées à des vertus magiques, et en particulier on en voit utilisées à des fins d'illusions visuelles, comme les rubis de Mélisandre d'Asshaï. Dans ce cadre, les yeux de saphirs pourraient parfaitement avoir une interprétation très littérale et permettraient de voir la réalité, de dissiper les illusions : et pourquoi pas (sa)voir qui étaient réellement les chiens infernaux ?  

 Mais revenons à Arya.

A la fin du chapitre où elle est aveugle, elle se dote d'autres yeux, ceux brillants des chats, dans la peau desquels elle parvient à se glisser grâce à son pouvoir de zoman (c'est le moment où elle découvre qu'elle est capable d'utiliser consciemment son pouvoir, et qui fait écho aux circonstances dans lesquelles Bran a lui aussi appris à habiter volontairement son loup : lorsqu'il était caché dans le noir absolu des cryptes de Winterfell). En outre, les Enfants de la Forêt - qui ont initié les hommes à la mémoire des barrals et la magie des vervoyants (la "zomanie" n'est qu'une partie de cette magie) - ont précisément des yeux comme ceux des chats, qui leur permettent de voir dans le noir là où les hommes sont totalement aveugles et où leurs yeux ne servent à rien. 

La thématique de Symeon se réalise donc très concrètement dans le cas d'Arya, à cette exception près qu'il n'est jamais question de saphirs, et que la fillette recouvrera véritablement la vue à l'issue de cette phase de son initiation. 

Comme pour la piste Brienne, celle-ci semble fausse ou incomplète, malgré des éléments similaires. La question qui se pose alors est l'utilisation de ces similitudes. L'association Brienne-Arya pourrait-elle fonctionner ? Au point où en est le récit, si les personnages ont des liens évidents, il n'y aucune certitude quant au fait qu'elles puissent former une paire, ne serait-ce qu'en raison de l'éloignement géographique : les indices concernant Arya n'orientent pas vers un retour immédiat à Westeros, au contraire. Cependant, Nymeria, la louve géante d'Arya (que cette dernière "habite" en rêve la nuit), a fait du Conflans son territoire de chasse. Or, tout l'arc narratif de Brienne se passe dans le Conflans. Il n'est pas incongru de parier sur une rencontre effective de la louve et de la chevalière, voire d'une sorte d'alliance entre les deux. Cette louve géante est plusieurs fois qualifiée de "chienne des sept enfers" ou "chienne infernale", ce qui nous renvoie directement aux chiens infernaux de l'histoire de Symeon.  

 Il y a cependant un hic : l'aveuglement n'est pas directement présent dans l'équation Brienne + Arya/Nymeria, celui d'Arya n'ayant constitué qu'un passage initiatique et non une transformation physique définitive. Or on ne peut pas faire l'impasse sur la transformation physique, vu qu'elle est la principale caractéristique de Symeon. 

 

Mais puisque nous en sommes aux chiens infernaux, allons enquêter de leur côté.

 

~~

 

 Les chiens infernaux sont associés aux loups géants Stark, comme nous l'avons vu pour Nymeria, mais les chiens figurent aussi sur le blason des frères Clegane, Gregor et Sandor : leur grand-père était le maître-chien du seigneur Lannister de l'époque, et avec six de ses chiens, il avait sauvé la vie de son maître attaqué par une lionne, une vraie. Les Clegane y avaient gagné un fief et le droit de devenir chevalier. 

 Et comme explique une fois Sandor à Arya, les chiens et les loups sont cousins. 

 

 Les chiens en question pourraient donc figurer les deux frères Clegane qui se haïssent et qui combattent à mort, comme on le voit au tournoi de la Main dans le premier tome. Combat furieux interrompu par le roi Robert Baratheon.

 On retrouverait là la thématique de la lutte fratricide, qui ne concerne pas les Stark du présent - mais qui peut avoir concerné ceux du passé, si on se souvient de l'histoire du Roi de la Nuit, tué par un Stark et qui aurait pu lui-même être un Stark.

 D'autre part, chacun des frères Clegane a subi une mort douloureuse à la fin du tome 3 A Storm of Swords, ou tout au moins ils sont officiellement morts des suites de blessures, mais ils ont également connu une résurrection : le terme de "chiens infernaux" leur convient donc d'autant mieux qu'ils reviennent bien des enfers au sens "monde des morts". 

 Tous les deux sont liés à l'arc narratif d'Arya, qui a fait un bout de route avec chacun d'eux dans le Conflans. Gregor figure toujours sur sa liste de personnes à tuer - celle qu'elle se récite chaque soir en guise de prière - mais elle en a retiré Sandor. 

 Ils sont également liés à Brienne : celle-ci a croisé le nouveau Sandor Clegane (sans toutefois l'identifier). Le lien est plus indirect avec Gregor, dont la nouvelle mouture (aka Robert Strong) est devenu le champion de Cersei, la soeur jumelle de Jaime. Jaime, le chevalier estropié auquel Brienne sert de main et d'épée dans sa quête pour retrouver et protéger Sansa Stark. Dans cette configuration, Brienne est le pendant de Robert Strong, avec cette nuance que la chevalière pourrait représenter le salut pour Jaime, là où Robert Strong représenterait la perte de Cersei.

 A cette configuration, pourrait s'ajouter Arya sous sa forme de louve géante et infernale.  

 

 

 Une autre hypothèse pour ces chiens infernaux concerne les deux bâtards du nord : Jon Snow et Ramsay Snow. Ramsay Snow est le fils naturel de Roose Bolton et a épousé une fausse Arya (la "soeur" préférée de Jon Snow) pour s'emparer plus légitimement de Winterfell. Il y a beaucoup de parallèles entre Jon et Ramsay, mais je ne vais pas les citer ici, car ils méritent à eux seuls une étude approfondie, Ramsay étant littérairement un double "maléfique" et bestial de Jon. Je me contenterai de souligner le lien particulier de Jon avec son loup géant Fantôme, dans la peau duquel il pourrait bien se glisser pour aller combattre Ramsay. Ce dernier entretient pour sa part des liens quasi amoureux avec ses chiens - en réalité des chiennes - dressées pour tuer et chasser le gibier humain; il est en outre qualifié de bête sauvage dans une peau humaine. Lorsque Theon Greyjoy sort pour la première fois des prisons de Fort-Terreur où Ramsay l'a retenu prisonnier et torturé pendant plusieurs mois, la description de cette sortie transforme littéralement la forteresse en la gueule d'un animal, les créneaux devenant des crocs, etc, une manière imagée de montrer Theon ressortant du ventre de la bête. 

 Pour finir, ces deux bâtards reproduisent la lutte qui a régulièrement opposé les maisons Bolton et Stark pour la domination du Nord : les Bolton ne sont pas des "écorcheurs" pour rien, car symboliquement, c'est une manière de revendiquer la mort des change-peaux que sont les Stark en les dépouillant de leur peaux de loups, autrement dit de leur capacité à entrer dans le corps d'autres êtres vivants, en particulier des loups.

 A la fin du tome 5, A Dance with Dragons, Ramsay provoque Jon par une lettre dans laquelle il l'insulte et lui réclame son épouse qui s'est enfuie et qu'il croit réfugiée au Mur. Jon brise le serment qui le lie à la Garde de Nuit en s'apprêtant à répondre militairement au défi lancé, mais il est poignardé par des membres de la Garde avant d'avoir pu quitter Châteaunoir.

 A nouveau, Arya est liée à ce duo, tout en s'étant éloignée de son ère géographique et narrative : elle était la petite "soeur" préférée de Jon Snow - celle pour laquelle il est prêt à trahir son serment - et c'est Jeyne Poole sous le nom d'Arya Stark qui a épousé Ramsay Snow. 

 

 En tous les cas, que ce combat des chiens infernaux représente la lutte des Clegane ou celle des Bâtards du nord, aucun pour le moment ne semble devoir se passer à Fort Nox, qu'il faut peut-être éliminer de l'équation comme lieu concret : la forteresse ne serait alors que le réceptacle d'une mémoire millénaire, un lieu où toutes les histoires les plus terribles ont été naturellement "stockées" car il s'y prêtait, par son ancienneté, son prestige... et sans doute la présence de son barral aux formes inhabituelles. Et peut-être aussi pour une autre raison dont je parlerai au terme de notre parcours dans le troisième article. 

 Il reste que pour le moment, au vu de la géographie et des différents parcours narratifs et des situations géographiques respectives, Brienne et la louve d'Arya ont davantage de chances d'assister à un combat définitif entre les deux frères Clegane qu'entre les deux bâtards.  

 

~~

 

Mais puisque je suis revenue à Brienne, j'aimerais évoquer une dernière piste qui lui est liée : celle de Jaime Lannister. 

Jaime Lannister, le chevalier de la Garde blanche qui rêvait d'être un nouvel Arthur Dayne et ne vivait que pour sa dame - sa soeur jumelle la reine Cersei - et son épée. 

Avant qu'elle ne le libère de la prison de Vivesaigues, Catelyn Stark lui a fait jurer de lui ramener ses filles Sansa et Arya, et pour s'assurer qu'il tienne parole, elle lui a adjoint Brienne de Torth. 

 Cependant, Jaime perd sa main d'épée pendant l'équipée, lors de la traversée du Conflans. Et lorsqu'il arrive ainsi mutilé à Port-Real, c'est pour apprendre que Sansa a disparu, et qu'une fausse Arya a été offerte en mariage à Ramsay Bolton, la vraie ayant disparu également, et depuis si longtemps que chacun la croit morte. Sans sa main, Jaime est incapable de se battre correctement, et par conséquent de partir à la recherche de Sansa : il confie donc à Brienne cette quête, autrement dit son honneur, et surtout sa nouvelle épée en acier valyrien, nommée "Féale". Dans les faits, cela revient à faire de Brienne sa main et son épée. 

Les malheurs de Jaime ne sont très certainement pas achevés - puisqu'à la fin du tome 5 A Dance with Dragons il a été attiré dans un piège tendu par la Fraternité Sans bannière dirigée par Lady Coeurdepierre, qui n'est autre que Catelyn Stark revenue d'entre les morts. C'est précisément Brienne qui a été l'instrument de ce piège. Ayant du mal à imaginer Brienne perdant ses "yeux de saphir", je ferai l'hypothèse que c'est Jaime qui perdra la vue à un moment ou un autre, et Brienne lui servira d'yeux après lui avoir servi de main d'épée. 

 

 A l'appui de cette hypothèse, je reviendrai sur un rêve que Jaime fait alors qu'il s'est endormi sur une souche de barral. C'est lorsqu'il a quitté Harrenhal et que les hommes de Roose Bolton le ramènent à la cour de Port Real, tandis que Brienne a été laissée comme proie pour la bande des Braves Compaings. Le rêve en question décide Jaime à revenir sur ses pas pour sauver Brienne.

Dans son rêve, elle est celle qui est en mesure de racheter au moins son honneur, si ce n'est sa vie : Jaime y est acculé dans un gouffre noir, les pieds dans l'eau, guetté par quelque chose d'effroyable qui l'attend (on ne sait pas quoi, mais il est assez transparent que la chose correspond à ses crimes). Les siens, le clan Lannister, le laissent seul. 

 

Jaime tâtonna sous l’eau jusqu’à ce que sa main se referme sur la poignée. Rien ne peut m’arriver, puisque j’ai une épée. Comme il relevait l’épée, une flamme d’un doigt de long clignota sur la pointe et, remontant le fil, s’immobilisa à moins d’une main de la garde. Elle prit la couleur de l’acier lui-même, et la lueur bleu argent qu’elle émettait fit reculer le noir.

(...)

 

De l’arrière vint un gros plouf. Jaime pivota vivement vers le bruit..., mais la lumière chiche ne lui révéla rien d’autre que Brienne de Torth, poings entravés par de lourdes chaînes. « J’ai juré d’assurer votre sécurité, fit-elle de son air buté. J’en ai fait le serment. » Elle était toute nue. Lui tendit les mains. « Ser. De grâce. Si ce n’est trop réclamer de votre bonté. »
Les anneaux d’acier se déchirèrent comme soie. « Une épée », conjura Brienne, et l’épée advint, le fourreau, le ceinturon, tout. Elle en ceignit sa taille épaisse.

(...)

A son tour, l’épée de Brienne s’enflamma d’une menue flamme bleu argent. Les ténèbres battirent en retraite un tout petit peu plus.

(Jaime VI, tome 3 A Storm of Swords)

 

Par la suite, Cersei apparait pour expliquer que si les flammes des épées s'éteignent, ils sont morts, puis arrivent les fantômes de Rhaegar Targaryen et des membres de la Garde blanche morts pendant la Rébellion de Robert, qui accusent Jaime de trahison, et pendant qu'ils l'accusent :

 

Les flammes qui couraient le long de la lame tremblotaient, tout près de s’éteindre, et Jaime se souvint de ce que Cersei avait annoncé. Non. La terreur lui empoigna la gorge. Et puis son épée devint toute noire, seule persistant à brûler celle de Brienne, tandis que sur lui se ruaient les spectres.

« Non, fit-il, non, non, non. Nooooooooon ! »

(Jaime VI, tome 3 A Storm of Swords)

 

 Ce rêve trouve un écho dans les délires fiévreux de Brienne, lorsqu'elle est entre la vie et la mort, transportée par les membres de la Fraternité sans Bannière jusqu'à l'une des grottes pleine de racines de barrals qui leur sert de cache.

Brienne est liée irrévocablement à Jaime Lannister.  

 

 Dans ce cadre, Symeon Prunelles d'étoiles représenterait alors un couple de chevaliers : une épée double et des yeux à la fois aveugles et aussi bleus que des saphirs. Si le rêve de Jaime ne parle pas saphirs, chacune des épées s'enflamme d'une lueur bleue qui permet d'y voir un peu plus clair et de faire reculer les ténèbres. Des armes meilleures que des yeux humains ordinaires, en somme, comme le bâton d'Arya. 

 Cette lecture-hypothèse de l'histoire de Symeon offre la double interprétation, symbolique et littérale, et elle s'inscrit pleinement dans la trame principale de la saga. Le sauvetage de Sansa par le chevalier Symeon est même prophétisé par Cersei dans le tome 2 A Clash of Kings, au moment de la bataille de la Néra, et ça tombe bien, car retrouver Sansa est précisément la quête de Jaime et Brienne. 

 

 

 - "De véritables chevaliers ne s'en prendraient jamais à des femmes et à des enfants." Des mots, du vent, s'aperçut-elle à mesure qu'elle l'énonçait.

"Véritables chevaliers..." La reine trouvait manifestement la formule d'une irrésistible cocasserie. "Sans doute avez-vous raison. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas manger tout bonnement votre potage comme une bonne petite fille, en attendant que Symeon Prunelles d'Etoiles et le prince Aemon Chevalier-Dragon accourent à votre rescousse, ma mignonne ? Ils ne tarderont plus guère, à présent, m'est avis."

 (Sansa V, Tome 2 A Clash of Kings)

 

 

 Pour finir, et histoire de troller un brin, le monde de Westeros a connu un personnage historique éborgné, qui avait bien remplacé son oeil par un saphir : le prince-dragon Aemond Targaryen, qui a vécu pendant la guerre civile entre Targaryen appelée communément "Danse des dragons". Comme ce personnage n'est jamais cité dans la saga, mais dans des oeuvres annexes (The Princess and the QueenThe Rogue Prince et The World of Ice and Fire), on verra là un prince guerrier qui a repris à son compte un chevalier de légende et a voulu l'imiter délibérément. Certaines versions de l'histoire de Symeon (une version est évoquée dans une nouvelle de Dunk et l'Oeuf, et pas directement dans la saga elle-même) semblent faire état de combat de Symeon contre un dragon, mais ce ne pourrait être que des ajouts tardifs consécutifs à l'histoire d'Aemond Targaryen, qui s'est bien battu contre d'autres chevaucheurs de dragons, monté sur le sien propre : Dunk et l'Oeuf ont vécu un bon siècle après la Danse des dragons. Tous les dragons avaient disparu du monde à leur époque.   

 

 

- DANNY FLINT -

 

 J'ai commencé par le morceau le plus gros, parce qu'au vu des personnages auxquels il peut renvoyer, il aura des implications sur la trame principale. Les histoires suivantes semblent beaucoup plus anecdotiques et ne concerner que des personnages ou des péripéties secondaires, bien qu'elles servent le récit dans la mesure où elles apportent la touche réaliste qui rend le monde inventé par GRRMartin si vivant, mais aussi parce qu'on en retrouve des échos dans certaines des trames principales, dont elles peuvent offrir une vue version ultra condensée. 

 

 

C'était (...) ici que le jeune et preux Danny Flint s’était fait violer puis assassiner.

 

 La prochaine histoire est donc celle de Danny Flint, la malheureuse jeune fille qui s'engagea dans la Garde de Nuit en se faisant passer pour un homme, et qui finit violée et tuée. On en apprendra l'identité féminine de Danny Flint dans un chapitre de Jon, dans le tome 5 A Dance with Dragons, mais rien de plus. 

 Dans les chapitres de Bran, le seul autre détail qui pourrait s'y rapporter concerne le nom Flint, qui vient des clans des montagnes. Les moeurs de ces clans-là n'étant pas très éloignés de celles des Sauvageons, l'idée de nordiennes guerrières - à l'instar des "piqueuses" sauvageonnes - n'a rien d'incongru. A première vue, c'est donc une histoire qui ne doit rien aux Temps Héroïques et pour laquelle une lecture symbolique ne s'impose pas. Je me contenterai donc pour celle-ci de regarder s'il n'y a pas une ressemblance entre cette Danny Flint et un personnage contemporain de la saga. 

 J'ai déjà évoqué le nom - Flint : il se trouve que l'arrière grand-mère de Bran le Brisé (notre petit Brandon Stark à nous) était une Flint des montagnes, et Vieille Nan prétendait que Bran tenait d'elle son goût pour l'escalade et la grimpette. Bran se rappelle précisément ce détail lorsqu'il arrive à Fort Nox et qu'il regarde avec envie Meera Reed faire l'ascension du Mur.

 Le prénom Danny pourrait être une variation sur "Dany", diminutif ordinaire de Daenerys, la Targaryen qui a fait renaître les dragons et qui reprend à son compte le rôle de guerrière conquérante. D'autre part, comme Daenerys a réalisé littéralement la prophétie du sauveur Azor Ahai réincarné, le fait qu'on retrouve une Danny engagée au Mur pour défendre les royaumes humains contre la Longue Nuit a du sens. 

 Mais ça ne nous dit rien sur une Danny Flint contemporaine. Daenerys est certes très convoitée, mais elle n'a pas encore subi de viol collectif et elle ne se fait pas passer pour un homme. On peut toujours supposer que ce sera le cas plus tard, dans une partie de la saga qui n'a pas encore été publiée. D'autre part, l'histoire de Danny Flint reste tout de même très anecdotique par rapport au développement du personnage de Daenerys. 

On écartera donc cette piste sans états d'âme. 

 

 En revanche, il y a au Mur un personnage qui pourrait bien connaître le sort malheureux de Danny Flint : il s'agit de Satin, un jeune homme né dans un bordel huppé de Villevieille et qui a reçu une éducation raffinée et ordinairement réservée aux femmes (dans Westeros, s'entend) pour servir de mignon à une clientèle noble lorsqu'il était enfant. Il est arrivé au Mur après Jon Snow, donc très récemment; il est très efféminé, beau et gracieux, son raffinement et son instruction le font très mal voir des autres soldats présents au Mur. Jon le prend sous son aile et en fait même son écuyer personnel lorsqu'il est Lord Commandant, ce qui choque les membres de la Garde de Nuit. En effet, le poste d'écuyer (ou d'ordonnance) du lord Commandant est une promesse de formation en vue de briguer plus tard le poste de lord Commandant, et la manière dont les officiers de la Garde de Nuit parlent de Satin laisse deviner clairement que ses membres ne sont absolument pas prêts à accepter à leur tête un de leurs frères qu'ils considèrent comme un efféminé patenté. Satin est un être qui transgresse les genres. A choisir, ils préféreront un ancien violeur et meurtrier en série bien viril.

 L'assassinat de Jon Snow à la fin du tome 5 A Dance with Dragons laisse donc Satin dans une situation extrêmement vulnérable, sans amis (que Jon a éloignés dans les différents forts à repeupler le long du Mur) et sans protection. Son ambiguïté de genre et le regard que les autres hommes lui portent en font la victime idéale pour un viol collectif avant assassinat. 

Les piqueuses sauvageonnes sont un peu moins exposées, car elles bénéficient de la "circonstance atténuante" culturelle. Satin, lui, est dès l'origine un homme-objet qu'on soupçonne en outre être le mignon du lord commandant Jon Snow, après avoir été celui de nobles ouestriens. Une abomination absolue. 

 

 

- LES 79 SENTINELLES - 

 

 

Il y a des fantômes, ici », dit Bran. Hodor connaissait déjà toutes les histoires, mais Jojen pas forcément. « Des fantômes très très vieux, d’avant le Vieux Roi, d’avant même Aegon le Dragon, soixante-dix-neuf déserteurs qui partirent se faire bandits dans le sud. L’un d’entre eux était le plus jeune fils de lord Ryswell, alors, quand ils arrivèrent dans le coin des tertres, ils coururent chercher refuge dans son château, mais lord Ryswell les mit au cachot puis les renvoya à Fort Nox. Le lord Commandant avait fait tailler des trous dans la glace au sommet du Mur, on y jeta les déserteurs, et on les emmura vivants. Ils sont munis de piques et de cors et sont tous tournés face au nord. Les soixante-dix-neuf sentinelles, on les appelle. Comme ils avaient abandonné leurs postes durant leur vie, morts, ils sont condamnés à monter la garde éternellement. L’âge venu, la mort venant, lord Ryswell se fit, bien des années après, transporter à Fort Nox afin d’y prendre le noir et de se retrouver aux côtés de son fils. Il ne l’avait jadis renvoyé au Mur que pour satisfaire à l’honneur, mais, l’aimant encore comme au premier jour, il venait maintenant partager sa garde. »

 

 

 Passons à l'histoire des soixante-dix-neuf sentinelles.

 Contrairement à la précédente, cette histoire est bien développée, mais ressemble trop à une tragédie bien montée - à une chanson - pour être totalement réaliste. La désertion est une situation très ordinaire dans toutes les troupes armées, mais l'attitude de lord Ryswell a une dimension exemplaire qui reprend en outre un ressort dramatique ordinaire de tragédie : le conflit entre l'honneur et l'amour ou l'intérêt personnel. 

 Le vieux Jeor Mormont, lord Commandant de la Garde de Nuit au commencement de la saga, a connu une situation qui se rapproche de l'histoire ci-dessus : son fils Jorah s'est livré au trafic d'esclaves et a été condamné pour cela par son suzerain Eddard Stark. Jeor s'était déjà engagé dans la Garde de Nuit et avait transmis la suzeraineté de l'Île aux Ours à son fils, mais celui-ci s'étant déshonoré, il l'a transmise à sa soeur Maege Mormont. Il attendait que son fils le rejoigne - "faveur" que Lord Stark n'aurait pas refusée. Plus tard, il a offert à Jon Snow l'épée familiale en acier valyrien, Grandgriffe, après que ce dernier lui eût sauvé la vie. Jorah Mormont, lui, est passé au service de Daenerys Targaryen, qui a promis de le ramener chez lui. Il se pourrait donc qu'il revienne en Westeros, et en particulier au Nord, qu'il participe au Mur à la lutte contre les Autres, et qu'il finisse par y mourir, réalisant la dernière volonté de son vieux père. Mais ce serait alors de son plein gré, et le schéma de l'histoire des "soixante-dix-neuf sentinelles" serait inversé. Jorah et Jeor Mormont sont des personnages secondaires suffisamment importants pour apparaître dans une vieille légende, mais pour être honnête, cela reste relativement mince. 

 Il y a cependant ce vieux visage de barral qui sert de porte dans le Mur, en dessous de Fort Nox, et que Samwell et Bran empruntent. Celle-ci ne s'ouvre que devant un Frère juré qui récite le serment de la Garde de Nuit, ce qui est une façon de monter la garde. Elle est unique, cependant, mais il est possible que cette histoire des 79 sentinelles raconte la fondation du Mur avec le sacrifice de disciples de Brandon le Bâtisseur pour garantir la magie du Mur - magie probablement assurée par des barrals (= les "arbres barrage", "weirwood" en anglais) - ou encore d'autres vervoyants. Je fais ici l'hypothèse que le visage de la Porte Noire est celui de Brandon le Bâtisseur, l'ancêtre mythique des Stark, fondateur de Winterfell et du Mur. Ou tout au moins - puisque "Brandon le Bâtisseur" est un personnage de légende jusqu'à preuve du contraire - du vervoyant Stark à l'origine de la conception du Mur. 

 Même si le chiffre 79 n'est pas forcément le bon, et si l'histoire est possiblement transformée - notamment concernant l'implication des Ryswell - le sacrifice sanglant fait sens dans la mesure où les bâtiments et en particulier les murs bâtis avec du sang sont un thème récurrent de la saga : en Essos, dans les territoires de l'ancienne Valyria et dans les cités esclavagistes, il s'agit du sang des esclaves qui se sont épuisés à la construction des murs et des pyramides; en Westeros, pour Harrenhal, c'est la population locale qui a été saignée à blanc; et en ce qui concerne Winterfell, Bran le Brisé a lors de son apprentissage comme Vervoyant la vision d'un sacrifice sanglant aux pieds du barral de Winterfell. 

 Notons au passage que les "barrals" ne sont pas les seuls arbres inventés par GRRMartin et propres à son monde : dans le nord et les très anciennes forêts, il y a également les "vigiers" ("sentinels" en vo) et les "pins plantons" ("pine soldier" en vo), qui évoquent tous les deux le fait de monter la garde et de défendre. Le principe même de la Garde de Nuit. Ces arbres sont ceux du bois sacré de Winterfell, ils sont très nombreux dans les anciennes forêts réputées pour avoir abrité ou abriter encore des Enfants de la Forêt. Ils sont donc liés eux aussi à la magie des Vervoyants. Il est loisible d'imaginer que ces arbres aient servi de base pour la construction du Mur et que la légende en ait fait des hommes : il y a un autre thème très développé et exploité dans la saga, qui assimile les hommes à des arbres ou des morceaux de bois manipulés comme des pantins.

 Plutôt que des Ryswell, cette histoire pourrait donc bien concerner des Stark anciens, avant qu'ils ne soient des Stark de Winterfell.  

 

 Il se peut encore que cette légende n'ait pas encore été jouée (ou qu'elle n'ait été jouée que pour une petite partie, ce qui ne permet pas de l'identifier) - il reste encore deux à trois mille pages pour une saga qui en compte déjà un peu plus de six mille - ou que son occurrence soit bien cachée et qu'elle m'ait échappé. On encore qu'elle ne soit jamais jouée au présent. 

 Elle pourrait également être une histoire complètement inventée et ce serait bien là le genre d'humour à la GRRMartin.

 Je ne trancherai donc pas en ce qui concerne celle-ci et on passera à la suivante. 

 

 

- HACHE EN FOLIE - 

 

 Hache-en-folie avait une fois arpenté ces cours et hanté ces tours et massacré ses frères dans le noir.

 

Plusieurs histoires de hache concernent directement la Garde de Nuit :

 

 

- dans le tome 1 A Game of Thrones, deux patrouilleurs sont retrouvés morts au-delà du Mur, et ramenés à Châteaunoir. Dans la nuit, ils se relèvent et attaquent leurs anciens camarades. L'un des deux semble avoir été tué d'un coup de hache, peut-être la hache du second, ce qui laisse supposer qu'un des patrouilleurs a tué les autres, sans qu'on sache s'il l'a fait de son vivant ou lorsqu'il était déjà mort. 

 

- Dans le tome 2 A Clash of Kings, le lord commandant Jeor Mormont qui mène une grande expédition au-delà du Mur, fait escale chez Craster - un personnage peu recommandable qui vit entouré de ses femmes-filles - et pour prix de son hospitalité et des renseignements qu'il a à fournir, il lui offre sa belle hache personnelle. C'est l'occasion pour Edd-la-douleur de gloser sur le ton de l'humour noir et d'annoncer mine de rien la future mort de Jeor Mormont. En effet, lors du retour désastreux de l'expédition, ce qui en reste fait escale chez Craster, où a lieu une mutinerie d'une partie des survivants de la Garde de Nuit. Les frères s'y massacrent entre eux après que le meurtre de Craster a servi de déclencheur. Cependant, on ne sait pas si la hache offerte à Craster a servi. En outre, il n'est pas question d'un tueur isolé, mais d'une lutte fratricide entre les mutins et les autres survivants. 

 Il se peut que ces deux histoires de hache soient liées et que le rôle de Craster là-dedans soit celui du coupable. Coupable de débiter les patrouilleurs isolés qu'il héberge sous son toit et d'en approvisionner ensuite son cellier. Craster étant réputé bâtard d'un Frère juré de la Garde de Nuit, il pourrait bien jouer le rôle de Hache-en-folie. Mais cette histoire-là mérite son propre développement et Craster aura son article pour lui. 

 

- Enfin, il y a Kedge Oeilblanc, un personnage très secondaire et quasiment pas développé, mais qui est régulièrement cité; il est d'un caractère plutôt solitaire, un des rares survivants de l'expédition de Jeor Mormont. Il est borgne et porte une hache. Il a le profil littéraire pour faire un futur "hache-en-folie", qui ne s'est cependant pas encore révélé. Dans le cadre de la trame principale, il pourrait être une des "petites histoires" qui participent à l'anéantissement de la Garde de Nuit et la chute du Mur, si on en arrive là (à la fin du tome 5, c'est en bonne voie), comme il pourrait n'être qu'un leurre. 

 

Keep reading, dirait GRRMartin, et en attendant qu'on puisse le faire avec le tome 6, passons à la dernière petite histoire citée. 

 

 

- LA MALEDICTION DU ROI SHERRIT -

 

 

Ce château-là était celui d’où le roi Sherrit avait appelé la malédiction, jadis, sur les Andals

 

 

 Il y a fort longtemps, donc, le roi Sherrit maudit les Andals depuis Fort-Nox. On n'en sait pas davantage à ce propos et on entrera allègrement sur le terrain des spéculations, dont une qui servira pour la dernière histoire qu'on étudiera, dans le troisième article. 

 Dans l'histoire de Westeros, les Andals sont un peuple guerrier venu d'Essos par la mer et qui a commencé son invasion de Westeros par le Val d'Arryn, dont il était le plus proche. Les Andals ont amené avec eux la religion des Sept et ont donc fortement contribué au déclin du culte des Anciens Dieux - les barrals - que les Premiers Hommes avaient adoptés après les avoir combattus. Les Andals ont également amené l'acier avec eux, là où les Premiers Hommes ne connaissaient que les armes de bronze. Toutes les versions ne sont pas absolument les mêmes concernant les métaux : certains disent que le fer était connu des Premiers Hommes - les Îles de Fer étaient habitées et réputées pour ce métal dès avant l'arrivée des Andals, soit que leurs habitants l'aient exploité, soit qu'ils aient été nommés "Fer-nés" pour leur réputation de pilleurs impitoyables. La transformation du fer en acier était en tous les cas inconnue des Premiers Hommes, et son usage dans les armures et armes également.

 Les Andals se sont imposés sur tout Westeros - par la force ou par les alliances et mariages - sauf au nord du Neck, donc dans les royaumes du Nord, ainsi que dans les Îles de Fer. La région marécageuse et forestière du Neck constituait une frontière naturelle trop difficile à franchir et l'est restée. 

 Qui était donc le roi Sherrit ? Un roi des Premiers Hommes vaincu par des Andals et qui avait fini sa vie au Mur ? 

 

Nous avons la chance de pouvoir assister à une malédiction en direct au cours de la saga : il s'agit de celle lancée par lord Rickard Karstark avant son exécution, à l'encontre de Robb Stark, alors roi du Nord et du Conflans, qui a condamné et exécuté lord Karstark. 

 C'est la seule piste contemporaine que nous ayons, et nous allons donc voir si elle peut s'appliquer à la si brève légende de la malédiction du roi Sherrit contre les Andals. Pour le "roi Sherrit", ce sera vite fait : les Karstark descendent en ligne directe d'un cadet Stark qui a fondé sa propre maison après qu'un roi Stark de Winterfell lui ait octroyé un fief en propre un millier d'années plus tôt, avec pour centre la forteresse de Karhold. Les Stark de Karhold sont devenus les Karstark par contraction. C'était des siècles avant que les Targaryen unifient Westeros et que les Stark perdent le titre de roi. 

 On pourra donc transposer ici le terme de roi en celui de "seigneur suzerain", ce qui ne fait pas de changement radical, puisque le seigneur suzerain a sur ses propres terres les mêmes prérogatives qu'un roi.

 Tous les seigneurs suzerains pouvant à partir de là jouer le rôle du "roi Sherrit", c'est la malédiction et à qui elle s'adresse qu'il sera le plus judicieux d'étudier. 

 

Les Andals, donc, et le rapport avec Robb Stark, le fils aîné d'Eddard Stark, parti dans le sud pour faire la guerre aux Lannister et qui n'en est jamais revenu.

 

 « Ils [les dieux (du nord)] te voient, mon gars. Ils t’entendent parler. Ton frisson de feuilles, c’est quand ils répondent.

- Et ils disent quoi ?
- Ils sont tristes. Le seigneur ton frère, ils pourront rien pour lui, là où il va. Les anciens dieux n’ont aucun pouvoir, dans le sud. On a coupé tous les barrals, là-bas, depuis des milliers d’années. Comment veux-tu qu’ils veillent sur ton frère quand ils n’ont plus d’yeux ? »

 

(Bran VI, tome 1 A Game of Thrones)

 

Cet extrait se situe lorsque Robb quitte Winterfell avec les vassaux qu'il a convoqués. Bran le Brisé discute avec Osha, la piqueuse sauvageonne qu'ils ont capturée quelques mois plus tôt, et qui va régulièrement se recueillir dans le bois sacré, auprès du barral, afin d'écouter ce que disent les dieux. Ici, elle commence par expliquer que Robb perdra le contact avec les dieux (les barrals), et implicitement, le nord. Elle enfonce le clou un peu plus tard dans la conversation, laissant entendre que Robb n'est déjà plus un véritable homme du Nord, puisqu'il s'en est détourné pour le sud : 

 

"Et ce brave doux dingue entêté de Mance qui se figure qu’il va tenir..., comme si les marcheurs blancs, c’était comme vos patrouilles, il en sait quoi ? Libre à lui, si ça l’amuse, de se titrer roi-d’au-delà-du-Mur, qu’est-ce qu’il est ? rien qu’une vieille corneille noire de plus évadée de votre Tour Ombreuse. Il n’a jamais goûté l’hiver. Tandis que moi, mon petit, j’y suis née, là-bas, comme ma mère et sa mère et la mère de sa mère, on en est, nous, du Peuple Libre, et on se souvient." Elle se leva dans un cliquetis de ferraille. "Ton petit seigneur de frère, j’ai bien tenté de l’avertir, et hier encore, dans la cour. "M’sire Stark ?", j’ai appelé, polie, déférente et tout, tu crois qu’il m’a vue ? transparente ! et cette andouille en sueur de Lard-Jon Omble me gargouille : "Pousse-toi !" Tant pis, je dis. Je vais traîner mes fers et fermer ma gueule, là. Pas pires sourds que ceux qu’ écoutent pas."

- A moi, dis-le ? Robb m’écoutera, je le sais.

- Maintenant? Verrons... Dis-lui toujours ceci, petit, dis-lui qu’il part du mauvais côté. C’est au nord qu’il devrait mener ses épées. Au nord, tu entends ? pas au sud."

 

Osha raconte ici la surdité et l'aveuglement de Robb Stark et des autres seigneurs du Nord, détournés du nord, justement. 

 

 Au cours de sa brève et glorieuse aventure, Robb a été couronné "roi du Nord et du Conflans". Cependant, l'ancienne  et authentique couronne des rois du nord ayant été depuis longtemps perdue, c'est un ersatz qui est forgé à la hâte.

 De plus, en l'absence de Robb, Winterfell - le siège de la suzeraineté des Stark - a été pris et détruit, si bien que Robb Stark est appelé par Rickard Stark "le roi qui perdit le nord". De fait, il ne tient plus que le Conflans avant de périr au cours des Noces Pourpres, trahi par plusieurs de ses vassaux. 

 Par surcroit, il est comparé une fois au roi Tristifer d'Alluve, un ancien roi du Conflans qui remporta 99 batailles mais perdit la centième et son royaume avec. 

 Comme si ça ne suffisait pas, Robb Stark ressemble physiquement à sa mère - Catelyn Tully - mais il partage néanmoins des traits et des expressions de son père, Eddard. Il ne faut cependant pas s'y tromper : si Eddard possédait le côté rude et sévère associé au Nord - et en particulier une certaine manière d'appliquer la justice seigneuriale - lui aussi avait perdu une partie du lien avec le Nord, avec le véritable hiver. 

Enfin, promis à une fille Frey - une importante famille du Conflans - Robb rompt sa promesse pour épouser une autre fille du "sud", Jeyne Ouestrelin, famille vassale des Lannister. 

 

 Dans les faits, donc, Robb n'a jamais été un véritable roi du Nord à la mode ancienne. Il a en quelque sorte abandonné l'héritage des Premiers Hommes pour devenir un Andal.

 C'est ainsi que la malédiction du roi Sherrit contre les Andals pourraient s'appliquer à Rickard Karstark maudissant Robb et ses bannerets, qui paieront effectivement un très lourd tribut aux Noces pourpres, en même temps que leur roi. 

 

 Cette seconde partie s'achève là,  et ce roi "Andal" fera ma transition pour le troisième et dernier article sur Fort Nox. Il sera consacré à la dernière histoire liée à ce lieu, celle du terrible Rat coq, et nous pourrons voir ensuite toutes les conclusions qu'il est possible de tirer de ce petit voyage au royaume des fantômes, de l'horreur et de la tragédie. 

 

 

 

 

 

 

 



26/08/2016
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