Histoires d'origines
Avertissement mars 2019 : je n'ai pas encore remis les citations en vf, et le présent article a besoin d'une relecture, mais je mènerai celle-ci après qu'il aura un peu décanté ! Je le publie tel quel pour le moment.
- ENTRE LES MURS, DES MORTS ET DES NAISSANCES -
Après que Viserys se fut retiré, elle s'approcha, songeuse, de sa fenêtre et tristement se mit à regarder la baie. Le jour déclinait. Contre le crépuscule, les tours en briques du rempart carraient de noires silhouettes. Des rues montaient (la vo dit "beyond the walls of the estate" - "de l'autre côté des murs de la propriété"), mêlés aux litanies des prêtres rouges en train d'allumer leurs feux nocturnes, les piaillements de mioches miséreux jouant à des jeux invisibles. Que ne pouvait-elle se joindre à eux, pieds nus, vêtue de haillons, hors d'haleine et sans passé, sans avenir, sans obligation de paraître à la fête de Khal Drogo...
(Daenerys I, tome 1 A Game of Thrones)
Les premiers murs à se dresser sur la route de Daenerys, dans la saga, sont ceux de la demeure du riche marchand Illyrio Mopatis - l'ami de Varys qui complote avec lui pour placer un certain Aegon sur le trône de fer. Elle y est enfermée comme un trésor précieux dans un coffre et sa présentation au Khal Drogo, à l'intérieur d'un autre palais de la cité de Pentos, la fait seulement passer d'un coffre à l'autre. Cependant, la princesse Targaryen sortira de ces murs-coffres à son mariage et n'en verra plus jusqu'à la ville que son époux le Khal Drogo prendra au peuple des Agnelets et ravagera sauvagement. Ou plutôt, nuançons : il y a bien en réalité un développement littéraire du motif du mur pendant son périple à travers tout une partie du continent d'Essos, depuis la cité de Pentos (sur la côte ouest) jusqu'en mer dothrak, à travers les murailles vues de loin de différentes cités et l'absence même de murailles dans la ville sacrée des Dothrakis, sise entre un lac "Nombril du monde" et la "Mère des montagnes", où Daenerys rencontrera les prophétesses du Dosh Khaleen, qui prophétiseront pour son fils à naître un destin extraordinaire d'"Étalon chevauchant le monde", et où son frère Viserys recevra du khal Drogo une couronne d'or et la mort en même temps : une mort contre une naissance - celle de la dernière héritière du "sang de dragon" - dans un lieu dont la symbolique rappelle un ventre maternel.
La métaphore du ventre est par ailleurs déjà discrètement présente avec la propriété d'Illyrio Mopatis. Cependant, elle devient explicite plus tard, alors qu'Illyrio est comparé à une baleine et que ses caractéristiques d'ogre ou d'ogresse sont de plus en plus soulignées (jusqu'au séjour de Tyrion en sa compagnie, au début du tome 5 A Dance with Dragons, où il est littéralement engraissé), et lorsque dans le tome 2 A Clash of Kings Daenerys séjourne chez Xaro Xoan Daxos, où elle se fait la réflexion que la propriété de ce dernier est bien plus grande que celle d'Illyrio, puisqu'elle est capable "d'avaler" (sic) tout son khalasar. Ainsi, les murs franchis par Daenerys ont des allures de ventres d'ogres et d'ogresses, qui peuvent protéger leurs enfants mais sont tout autant prêts à les dévorer (on retrouve cette dualité dans les deux histoires racontées par Tormund Fleau d'Ogres à Jon, dans le tome 3 A Storm of Swords, alors qu'il brode à propos de deux rencontres qu'il aurait faites, avec une géante, et avec une ourse : l'une l'a prise pour son bébé, le forçant à téter et ne voulant plus le laisser partir, tandis qu'il se cachait dans le ventre de l'autre pour échapper à un hiver particulièrement long et rude).
Le Mur - celui de Westeros - suit le même schéma ambivalent : si l'envoi au Mur permet d'échapper à une condamnation à mort pour un certain nombre de "frères" et de trouver gîte et couvert dans un cadre légal, les "frères" jurés sont condamnés à servir là jusqu'à la mort, en renonçant à toute vie sociale, les déserteurs étant passibles d'une exécution. Ce n'est pas un hasard si Mance Rayder, le Roi d'Au-delà du Mur, est un ancien frère juré de la Garde qui tente d'ouvrir ce ventre : mais est-ce vraiment pour libérer les Peuples libres du nord du Mur, ou pour les réintégrer dans un ventre maternel que seraient les Sept Couronnes ? Il y a bien chez Mance un désir de protection aux airs de petit enfant qui s'exprime assez clairement lorsqu'il explique à Jon Snow que les Peuples libres viennent se réfugier de l'autre côté du Mur, "la queue entre les jambes". Au finale, si Mance se retrouve déchu de sa royauté et privé de son propre fils, c'est parce que symboliquement, il a renoncé à son statut d'adulte libre et qu'il aspire à retourner dans le giron d'une mère. Du reste, le Mur "pleure" (sic) régulièrement. Cette image renvoie directement aux larmes des mères de la saga qu'elles les retiennent en elle (comme Catelyn Stark), ou s'en servent comme d'armes (comme Lysa Arryn avec les Larmes de Lys ou Xaro Xoan Daxos, le riche Qarthien qui accueille Daenerys et ses dragons chez lui et se sert de ses larmes comme d'un discours de séduction et de persuasion), ou les provoquent chez les autres (Sansa fait couler celles de Sandor Clegane lors de la bataille de la Nera lorsqu'elle chante l'hymne à la Mère - ce faisant, elle achève de détourner le Limier du service des Lannister et le libère de la prison symbolique dans laquelle il est enfermé comme "Limier", chien de chasse). Et citons enfin les Larmes d'Alyssa, la cascade du Val qui porte le nom d'une reine légendaire condamnée à pleurer jusqu'à ce que ses larmes fertilisent la terre.
Ainsi, Daenerys Targaryen en franchissant les premiers murs, de Pentos à Qarth, passe d'un ventre de mère à l'autre, accomplissant sa gestation en tant que "dernier dragon", elle-même devenant "mère des dragons" au passage.
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Entre les deux, il y a Vaes Dothrak, la ville des Agnelets et Vaes Tolorro.
Arrêtons-nous sur la première.
Ce "centre du monde" n'a pas de murs durables, mais éphémères, qui se dressent rapidement quand les khalasars viennent y élire domicile; ils disparaissent quand les khalasars repartent. Si Daenerys y acquiert son prestige en tant que reine de khal Drogo et mère de son futur glorieux héritier, le lieu fait aussi pour elle figure de tombeau, puisque c'est le meilleur sort promis aux veuves de khals défunts : ces épouses royales y restent jusqu'à leur mort, coupées du reste du monde, et condamnées à prédire un hypothétique avenir pour les autres - leurs fils (réels ou symboliques, puisque dans ce lieu, tous les khals sont frères et le port d'armes tranchantes est prohibé) - mais sans plus de pouvoir. L'interdit des armes dans son enceinte sacrée résonne comme l'interdit de tuer une mère et des frères : le tabou du "kinslaying" ("meurtre des siens") trouve là son expression formalisée. Cela vaudrait cependant son propre développement, que je ne ferai pas ici, pour ne pas disperser l'analyse, mais je préciserai seulement que je crois ce lieu important narrativement et symboliquement pour le présent et le lointain passé de la saga, toujours à cause de ce procédé du thème repris en multiples variations.
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Le khalasar va ensuite commencer sa campagne de pillage chez les Agnelets. Cette ville n'a pas de nom, mais c'est entre les murs "faits de boue" de ce peuple que le khal recevra la blessure (une flèche d'un anonyme) qui finira par le tuer, et c'est entre ces mêmes murs que Daenerys trouvera et sauvera la guérisseuse Mirri Maz Duur, celle qui tuera son enfant à naître, Rhaego, en guise de vengeance pour le massacre de son peuple, mettant ainsi fin à la prophétie de l'Étalon chevauchant le monde.
Des gens du commun viennent mettre brutalement fin aux gestes des rois et des héros, comme l'exprime un autre personnage de GRRMartin dans la troisième nouvelle consacrée aux aventures de Dunk et l'Oeuf, qui prennent place quelques générations avant celles de la saga principale :
"Before, ser," Egg replied. "An archer put an arrow through his throat as he dismounted by a stream to have a drink. Just some common man, no one knows who."
"Those common men can be dangerous when they get it in their heads to start slaying lords and heroes."
La halte chez les Agnelets se révèle mortelle à tous points de vue, mais la conséquence finale sera de ramener les dragons dans le monde.
GRRMartin a fait de la boue un des éléments récurrents de la saga, déployant autour d'elle une symbolique riche d'ambiguïté : la boue soulage et soigne les blessures mais son aspect sale et commun l'opposent au brillant et orgueilleux or, ou aux autres matières nobles comme les métaux qui servent à fabriquer des armes ou la roche dont on élève des châteaux imprenables. L'une est pour le commun des mortels, les autres pour seigneurs, rois et héros. Pourtant, suivant le témoignage de Tyrion Lannister qui a eu les travaux d'assainissement en charge à Castral Roc, on trouve cette boue partout dans les canalisations de la forteresse de son orgueilleuse famille, construite dans une mine d'or. L'ambiguïté est illustrée directement par la blessure de khal Drogo, soignée par un cataplasme de boue et d'herbes qui aurait dû soigner mais finit par masquer le pourrissement à l'oeuvre.
Pour prendre quelques autres exemples non exhaustifs, le malheureux prince-grenouille Quentyn Martell (surnommé "Frog", "grenouille" en anglais), dans le tome 5 A Dance with Dragons, est comparé à la boue fraîche et bienfaisante par ser Barristan Selmy, qui regrette que sa reine Daenerys ne l'ait pas choisi pour consort, par manque de brillant et de panache. Il ne ressemble évidemment pas du tout à un prince charmant et Daenerys elle-même s'y trompe en remarquant davantage un de ses deux comparses beaucoup plus avenant. Il se brûlera au feu d'un dragon. Robb Stark et sa mère Catelyn, quant à eux, s'embourberont dans le Conflans avant de mourir aux Noces pourpres et Arya rêvera de même qu'elle s'embourbe sans jamais pouvoir atteindre Winterfell :
She dreamt of home; not Riverrun, but Winterfell. It was not a good dream, though. She was alone outside the castle, up to her knees in mud. She could see the grey walls ahead of her, but when she tried to reach the gates every step seemed harder than the one before, and the castle faded before her, until it looked more like smoke than granite.
(Arya III, tome 3 A Storm of Swords)
Elle rêva de la maison; pas Vivesaigues mais Winterfell. Ce n'était pas un rêve agréable, cependant. Elle était seule hors du château, dans la boue jusqu'aux genoux. Elle pouvait voir les grands murs gris devant elle, mais dès qu'elle essayait d'atteindre les portes, chaque pas semblait plus difficile que le précédant et le château s'effaçait devant elle, jusqu'à paraître davantage fait de brume que de granit. (traduction non contractuelle)
Si la boue empêche ici Arya Stark de retourner à Winterfell, elle lui sauve finalement la vie, au regard de ce qui est arrivé à la forteresse - prise par les Fer-nés de Theon, puis les hommes de Ramsay Snow-Bolton et passée à la torche, hommes tués et femmes emmenées en captivité à Fort-Terreur pour y servir (pour certaines d'entre elles) de gibier de chasse. Mais on peut aussi l'interpréter d'une manière plus tragique, la boue symbolisant alors l'ensemble des actes violents (des tricheries et autres serments violés) des hommes qui ont empêché Arya de retrouver sa maison et l'ont fait partir en fumée.
Parfois également, les princes trouvent leurs princesses cachées dans la boue, comme le prince Duncan Targaryen - le prince des libellules - fit avec Jenny de Vieilles-Pierres, une jeune fille du Conflans aux parents inconnus qui se prétendait descendante d'une ancienne et prestigieuse lignée royale, peut-être les d'Alluve, dont le nom anglais "Mudd" signifie "boue" (GRRMartin a seulement ajouté un "d" à "mud"). Jenny amena à la cour la Naine de Noblecoeur, qui prophétisa que le Prince promis serait issu des descendants d'un des fils du roi Aegon V Targaryen, ce qui poussa probablement Aegon à vouloir faire éclore des oeufs de dragons et provoqua la catastrophe de Lestival, qui vit la mort de ce roi et d'une partie de sa famille. La "princesse de boue" est un motif qui apparaît la première fois avec Arya, lors du trajet vers Port-Réal, dans le tome 1 A Game of Thrones, où elle a profité du passage dans le Neck pour s'aventurer dans les marais et en ramener - toute boueuse - de magnifique fleurs rouges urticantes.
Ce rapide panorama nous permet de voir que les "murs faits de boue" de la ville sans nom des Agnelets n'ont rien d'innocent, des princes et des princesses en sont issus non moins que le commun des mortels. Il faut possiblement rapprocher la boue de l'argile ("clay"), qu'on retrouvera sur le parcours de Daenerys, notamment dans les cités esclavagistes, celles qui achètent la matière humaine et la refaçonnent pour le monde, mais j'y reviendrai dans l'article suivant. Au reste, le motif de la création est fortement associé à l'argile (notamment avec la couleur rouge), introduit la toute première fois lorsque Bran évoque la fabrication par mestre Luwin d'un petit Bran d'argile (mestre Luwin veut lui montrer comment une chute du haut des murs de Winterfell pourraient le fracasser, afin de le dissuader de continuer l'escalade de ces mêmes murs), et plus tard accolé au sang et aux os : les hommes ordinaires sont faits de sang, d'os et d'argile. Les dieux, quant à eux, sont fait d'or, de feu ou de fer, comme les Lannister, les Targaryen, les Fer-nés ou les Stark !
Finalement, Tywin Lannister ne chiait pas de l'or.
Ainsi, retraçant les premiers pas de Daenerys Targaryen, les murs de la demeure d'Illyrio se révèlent une prison dorée pour la princesse : elle n'y était qu'une marchandise parmi d'autres, une misérable chose vendue par son frère Viserys contre une couronne dorée, et vendue par Illyrio contre un bras armé à sacrifier (pour faire court, le khal Drogo devait être poussé à attaquer Westeros avec ses cavaliers, par l'intermédiaire de son beau-frère Viserys Targaryen, et devait provoquer suffisamment de désordres dans Westeros pour faire un peu plus vaciller la dynastie Baratheon et préparer le terrain à l'arrivée d'un sauveur, un nouveau "prince promis" en la personne du jeune Aegon, prétendu fils de Rhaegar Targaryen miraculeusement rescapé du massacre de sa famille). Les murs de la ville des Agnelets, eux, apportent la mort à cette Daenerys Targaryen, la khaleesi dont le fils conçu avec le khal Drogo devait conquérir le monde, mais en échange de ce sacrifice, elle reçoit trois nouveaux enfants, trois dragons, et accomplit sa propre naissance comme dragonne.
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Lorsque la ville s'offrit à ses regards, avec la blancheur de ses murs et de ses tours comme dépolie par un voile de chaleur, elle lui parut trop belle pour être autre chose qu'un mirage. "De quelle cité s'agit-il ? demanda-t-elle à Mormont. En avez-vous une idée ?"
Il secoua la tête. "Non, ma reine. Jamais je ne me suis tant aventuré à l'est."
Dans le lointain, les murs blancs promettaient si bien repos et sécurité, convalescence et retour des forces que Daenerys n'aspirait à rien tant qu'à se précipiter vers elles.
(Daenerys I, tome 2 A Clash of Kings)
Alors que la traversée du brûlant et aride Désert rouge achève l'ancienne vie de Daenerys symbolisée par la mort de sa servante et amie Doreah - presque une soeur, un double littéraire, avec sa chevelure blonde, ses yeux bleus et son origine lysienne qui pouvait la faire descendre de "l'ancien sang" de Valyria - la gestation de la nouvelle reine se fait à l'intérieur des troisièmes murs franchis par elle dans le déroulé de la saga : les murs blancs de la ville fantôme bientôt baptisée Vaes Tolorro "la ville des os" par les survivants qui ont suivi la toute jeune mère des dragons.
Et de fait, le texte amorce bien une renaissance symbolique, puisque la première fois que cette ville se présente au regard, elle est associée à la lune et à une jeune fille :
"Une ville, Khaleesi ! crièrent-ils. Une ville pâle comme la lune et gracieuse comme une adolescente ("maid" - jouvencelle - dans la version originale)."
(Daenerys I, tome 2 A Clash of Kings)
Plus tôt dans la saga, Doreah avait justement rapporté à Daenerys une légende qarthienne selon laquelle les dragons seraient issus d'une lune s'étant approchée du soleil et ayant explosé sous sa chaleur. Or, dans le premier tome A Game of Thrones, Daenerys et Drogo se nomment entre eux respectivement "lune de mes nuits" et "soleil de mes jours". Par ailleurs, Daenerys est encore une jeune fille de quatorze ans à ce moment, et si l'on avait des doutes sur son identification littéraire avec la "Jouvencelle" (une "maid"), Jorah Mormont se charge de l'établir en racontant durant la halte à Vaes Tolorro l'histoire de son mariage brisé avec la blonde, jeune, pâle et belle Lynce Hightower - "la Jouvencelle incarnée" (sic) - que Daenerys lui rappelle.
En d'autres termes, les murs de Vaes Tolorro sont comme une jeune accouchée : ils nourrissent petitement mais sûrement avec leurs jardins secrets aux fruits petits mais goûteux et leurs puits d'eau pure et fraîche. Les cheveux de Daenerys y repoussent, signe de sa reprise de forces, les dragons croissent et les membres du khalasar s'y reposent avec profit. Pour autant, cette halte ne peut être que temporaire, de la même façon qu'un jour, le bébé lâche le sein de sa mère : autour de la ville, c'est le désert, et les trois éclaireurs envoyés par Daenerys ne rapportent rien de bien réjouissant, car la région n'offre rien qui permette de vivre à long terme : il n'y a que d'autres villes mortes, le désert ou la mer, et aucune oasis. La ville la plus proche - Qarth - est à quelques semaines de marche.
La "ville des os" est bien une ville morte, blanche comme les os, ce qui - outre le parallèle transparent avec Daenerys - permet d'en établir un autre avec la louve géante retrouvée morte par Eddard Stark et ses fils, dans la neige ensanglantée, dans le premier chapitre du premier tome A Game of Thrones. Le cadavre de la louve géante est entouré de ses louveteaux vivants. À ce moment, les loups géants font figure de "merveilles" (au sens de sujet d'étonnement) parce qu'on n'en a plus vu depuis plusieurs générations au sud du Mur, de la même façon que les trois dragons de Daenerys sont des "merveilles" pour Essos, qui n'en a plus vus depuis le Fléau de Valyria. Voici un bout de l'échange entre les Nordiens :
"Ce qui m'étonne, dit Eddard, et sa voix suffit pour rompre l'enchantement, c'est qu'elle ait pu suffisamment survivre pour mettre bas...
- Peut-être pas, hasarda Jory. On m'a raconté... Enfin, elle était déjà morte, peut-être, quand ils sont nés ?
- Nés de la mort, suggéra quelqu'un..., la pire des chances.
(Bran I, tome 1 A Game of Thrones)
Ajoutons - puisque GRRMartin n'est pas avare d'images qui se répondent les unes aux autres - que Robb Stark, le fils héritier, apparaît les cheveux "flamboyants" tenant un des louveteaux dans ses bras : le rouge du sang comme le Désert rouge, le blanc des os et de la neige (couleurs des Stark), et le feu (à Vaes Tolorro subsistent de vieilles traces d'incendie en voie d'effacement), nous retrouvons les mêmes nuances et les mêmes images à l'extérieur et l'intérieur des murs de Vaes Tolorro.
La ville elle-même est pleine d'ossements et de traces de destruction violente, mais elle n'a plus ni nom ni dieux. Sa mémoire a été littéralement effacée et il n'en reste qu'une carcasse vide dont l'histoire est inconnue. Pareillement, la louve géante trouvée dans la neige près de Winterfell est un mystère non résolu : on ignore quand elle est morte et ce qu'elle faisait au sud du Mur. La seule certitude est sa mort violente, puisqu'on retrouve planté dans sa gorge un bois de cerf. À première vue, entre un cerf et un cheval (les Dothrakis, auxquels Daenerys attribue la destruction de Vaes Tolorro, sont appelés les "seigneurs des chevaux") il n'y a pas de lien, mais il est bien établi dans la saga par GRRMartin, puisqu'il prend le temps de signaler que dans le ciel de Westeros, la constellation de "l'Étalon" est la même que celle du "Seigneur aux Cornes" : la première appellation vient du sud du Mur, et la seconde du nord du Mur, comme nous l'apprend Jon Snow lors de son séjour auprès des "Peuples libres" d'au-delà du Mur. Et dans les tomes 3 et 5, A Storm of Swords et A Dance with Dragons, un orignac ou renne géant sert de monture à plusieurs personnages au nord du Mur.
D'autre part, Vaes Tolorro n'a que les apparences lointaines d'une jouvencelle : lorsque Daenerys et son khalasar s'approchent, ils peuvent voir que les murs blancs sont lézardés et près de s'écrouler. Si l'auteur ne pousse pas la métaphore jusqu'à les comparer avec une "aïeule" (a "crone"), je le fais à sa place : la jeune femme brillante s'est transformée en femme âgée, ridée et voûtée. La même illusion se retrouvera dans le même tome, lors de la visite de Daenerys aux Nonmourants : une Nonmourante apparaîtra d'abord comme une splendide jeune femme avant de se révéler une horrifique vieille à la peau racornie, au sein "sec et dur comme du vieux cuir". Certaines hypothèses soutiennent que la sorcière rouge partenaire du roi Stannis Baratheon, Melisandre d'Asshaï, est elle aussi une femme très âgée (voire morte et magiquement ressuscitée des siècles plus tôt) qui use de magie pour avoir l'apparence d'une belle et brillante jeune femme. Il est intéressant de voir qu'à partir de l'essence vitale de Stannis (qui dépérit physiquement dans le même temps), elle donne naissance à des ombres faites pour tuer ceux qu'elle prend pour les adversaires de son dieu, ombres qui partagent de nombreuses caractéristiques avec les Autres, comme je l'ai analysé dans un autre article.
Mon hypothèse (nous quittons ici le terrain de la pure analyse littéraire et entrons sur celui des conclusions que je peux tirer des observations précédentes) est que Daenerys rejoue la partition d'une très ancienne "jouvencelle" qui a autrefois donné naissance à un ou plusieurs dragons, d'une manière ou d'une autre, et peut-être que ce "dragon" avait exactement l'apparence du jeune conquérant dont Daenerys a rêvé et qu'elle a pris pour son fils à naître, Rhaego. Les parallèles avec la louve géante de Winterfell me laissent également penser que cette "jouvencelle" mère d'un ou plusieurs conquérants flamboyants venait de Westeros et aurait ainsi apporté en Essos le sang magique hérité du Pacte formé en Westeros entre les Premiers Hommes et les Enfants de la Forêt.
En outre, Daenerys elle-même, en étant porteuse de l'antique sang de Valyria est littéralement comme une très vieille femme à l'intérieur d'un corps de jeune fille : son sang ("magique") la rattache concrètement à une mémoire très ancienne qui affleure notamment dans les rêves qu'elle fait, comme ces rois alignés qui la pressent une fois d'accélérer le pas vers une porte rouge, alors qu'elle sentait un souffle glacé dans son dos et que des ailes surgissent soudain de son dos et lui font prendre son envol :
"… wake the dragon …"
Pour revenir à Vaes Tolorro et finir d'établir le lien avec les Autres évoqués plus haut par le parallèle avec Melisandre, la ville abritée à l'intérieur des murs reprend elle aussi certaines de leurs caractéristiques : le blanc qui domine tout - "comme si les anciens habitants avaient ignoré la couleur" - l'absence de fenêtres aux façades, ce qui rappellent l'aspect "sans visage" ("sans face"), et enfin une statue qui a disparu au carrefour de six rues. On retrouve donc là encore notre chiffre six (les Autres du Prologue sont six), avec un septième personnage absent du paysage.
S'il fallait imputer pareil abandon à quelque incursion lointaine des Dothrakis, la statue absente figurait peut-être, à présent, parmi les dieux volés de Vaes Dothrak. Daenerys l'aurait dès lors côtoyée des centaines de fois sans se douter de sa provenance.
(Daenerys I, tome 2 A Clash of Kings)
Qui est ce septième personnage absent, vers lequel tout semble converger, ou duquel toutes les routes semblent partir ? Le point de convergence est-il géographique ? Est-il temporel ? Les six routes pourraient-elles représenter six lignées et six royaumes ? La ville et ses murs représentant symboliquement une lune accouchée, fissurée et desséchée, peut-on la rapprocher de l'antique et légendaire reine du Val, Alyssa Arryn, dont la statue aux Eyrie est à terre, et dont l'histoire raconte qu'elle est condamnée à pleurer pour l'éternité, ayant retenu ses larmes à la mort de tous les siens ? Alyssa étant un prénom qui apparaît sous de très nombreuses variations tout au long de la saga et dans les oeuvres annexes qui se déroulent dans le même monde (Alys, Alyssa, Alysanne, Lysa, Lys, Elissa, Alyn, Lynce...), je fais l'hypothèse qu'il renvoie à une ancêtre commune aux Stark de Winterfell et aux Targaryen. Ou s'il ne s'agit pas d'une ancêtre commune, au moins d'un personnage au rôle fondamental dans l'origine de ces deux dynasties... et dans la séparation de la glace et du feu. Sur Alyssa, Lysa Arryn et les Eyrié, on pourra se référer à l'analyse que j'ai faite du dernier chapitre de Sansa, dans le tome 3 A Storm of Swords. Lysa Arryn est elle-même une ancienne jeune fille florissante qui a donné naissance à un avorton qu'elle retient sur son sein bien au-delà de l'âge normal dans la société féodale de Westeros (il semble qu'il prenne encore le sein occasionnellement à 8 ans) : le motif est cependant inversé par rapport à la jeune accouchée morte, car l'une met au monde un ou plusieurs conquérants, là où l'autre accouche d'un avorton. Il pourrait alors s'agir de deux personnages différents et rivaux; ou du même ayant connu deux "vies", l'une en Westeros et l'autre en Essos.
À Vaes Tolorro, Jorah Mormont - le "vieil ours" de Daenerys - raconte donc ses amours déçues avec une fille de l'été, Lynce Hightower, qu'il a emmenée d'abord tout au nord, dans son Île aux Ours dont il était le seigneur, avant de perdre sa fortune et son honneur, et de fuir avec elle vers l'est, en Essos, à Lys, où la belle s'est lassée de son ours, l'a quitté et s'est enflammée pour un riche lysien à la place.
Les servantes dothrakis de Daenerys ont raison à propos de la ville morte : elle est pleine de fantômes, mais ce sont peut-être ceux convoqués à l'occasion de la halte - les bribes d'histoires - qui sont les plus révélateurs pour notre analyse.
En résumé, nous retrouvons dans les murs franchis par Daenerys les matières qui façonnent les humains dans la mythologie de la saga (et pas seulement) : les os, le rouge du sang et la boue. GRRMartin replace ici les dieux dragons Targaryen dans une symbolique pleinement humaine, tout en posant les bases pour de futures légendes. Il nous dit que les dragons sont mortels, comme tous les autres êtres vivants, et que s'ils sont nés dans cette première partie du périple de Daenerys, il y a des chances pour qu'ils trouvent tous la mort d'ici la fin de la saga.
Le premier mur sur le chemin de la nouvelle Daenerys est un mur blanc comme la neige, la glace, les os. Il est associé à une figure de jeune fille, de mère et de vieille femme, une lune brillante et morte tout à la fois, tombeau mais aussi ventre porteur d'enfants conquérants et du feu des dragons. Le mur une fois franchi lève le voile sur des pans d'histoires tragiques et douloureuses, ce qui n'est pas du meilleur augure pour Daenerys. Si le bûcher de khal Drogo a vu la conception des dragons, ce sont les murs blancs de Vaes Tolorro qui vont accoucher d'eux et de leur mère. Et trois "rois mages" viendront pour les voir, puis les emmener et les présenter au monde :
Daenerys se précipita sur les murs s'en assurer elle-même. Jhogo revenait effectivement du sud-est, mais pas seul. Le suivaient trois inconnus bizarrement accoutrés et juchés tout en haut de vilaines créatures bossues auprès desquelles son cheval paraissait nain.
"Sang de mon sang, cria Jhogo, j'arrive de la grande ville de Qarth avec trois de ses habitants qui désiraient vous voir de leurs propres yeux."
Elle dévisagea les étrangers. "Me voici. Regardez-moi, si tel est votre désir..., mais dites-moi d'abord vos noms."
De teint pâle avec des lèvres bleues, l'un répondit d'une voix gutturale, en langue dothrak : "Je suis le grand conjurateur Pyat Pree.
Le chauve aux narines étincelantes de joyaux s'exprima, lui, en valyrien des cités libres : "Je suis Xaro Xhoan Daxos des Treize, prince négociant de Qarth."
Quant à la femme masquée de bois laqué, c'est dans le vernaculaire des Sept Couronnes qu'elle se présenta : "Je suis Quaithe de l'Ombre. Nous sommes à la recherche des dragons.
- Ne cherchez plus, répondit Daenerys Targaryen. Vous venez de les trouver."
(Daenerys I, tome 2 A Clash of Kings)
Nous allons maintenant suivre Daenerys à Qarth et nous intéresser à ce que peuvent bien raconter les murs de cette cité.
- QARTH COMME UN ROMAN -
... Et ils nous en racontent beaucoup, puisque Qarth est ceinte d'un triple mur, et à travers les yeux de Daenerys, GRRMartin nous offre la description précise de chacun d'eux, orné de bas-reliefs.
Three thick walls encircled Qarth, elaborately carved. The outer was red sandstone, thirty feet high and decorated with animals: snakes slithering, kites flying, fish swimming, intermingled with wolves of the red waste and striped zorses and monstrous elephants. The middle wall, forty feet high, was grey granite alive with scenes of war: the clash of sword and shield and spear, arrows in flight, heroes at battle and babes being butchered, pyres of the dead. The innermost wall was fifty feet of black marble, with carvings that made Dany blush until she told herself that she was being a fool. She was no maid; if she could look on the grey wall's scenes of slaughter, why should she avert her eyes from the sight of men and women giving pleasure to one another?
The outer gates were banded with copper, the middle with iron; the innermost were studded with golden eyes. All opened at Dany's approach. As she rode her silver into the city, small children rushed out to scatter flowers in her path. They wore golden sandals and bright paint, no more.
(Daenerys II, tome 2 A Clash of Kings)
Au-delà de ce que je crois un discret hommage aux sept enceintes et niveaux de la cité de Minas Tirith, dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien - ce qui renforce la dimension mystique et la portée littéraire de la cité de Qarth - sa position, sa construction et ses murs l'inscrivent pleinement dans la symbolique interne du monde créé par GRRMartin, notamment parce qu'on y retrouve ce chiffre trois omniprésent dans toute la saga et étroitement lié à la fois aux Targaryen (on pense aux "trois têtes du dragon") et aux Stark (à travers la "Corneille à Trois-Yeux").
Qarth est en outre présentée comme le centre du monde :
"Qarth is the greatest city that ever was or ever will be," Pyat Pree had told her, back amongst the bones of Vaes Tolorro. "It is the center of the world, the gate between north and south, the bridge between east and west, ancient beyond memory of man and so magnificent that Saathos the Wise put out his eyes after gazing upon Qarth for the first time, because he knew that all he saw thereafter should look squalid and ugly by comparison."
(Daenerys II, tome 2 A Clash of Kings)
Si l'on poursuit à l'est de Qarth, on arrive par les voies commerciales à Asshaï-les-Ombres, l'inquiétante ville sombre (sa pierre noire absorbe la lumière) peuplée de gens qui s'exercent aux arts magiques et dans laquelle on ne trouve aucun enfant, et qui constitue également l'extrémité des zones explorées par des Ouestriens (habitants de Westeros). Le pays alentour est lui-même stérile et on ne peut rien y cultiver. La première vision de Bran lors de son rêve comateux nous apprend que les dragons seraient nés là-bas, et nous apprenons plus tard dans la saga que la prophétie du "Prince promis" en est originaire. Asshaï et les contrées de l'Ombre partagent plusieurs caractéristiques du Mordor, le pays du terrible mage Sauron dans le Seigneur des Anneaux, et la cité de Minas Tirith y joue également le rôle de porte, ou plutôt de dernier bastion de garde de la Terre du Milieu contre le Mordor. Qarth n'est cependant pas un bastion ni une cité en guerre, et alors que Minas Tirith se dresse toute grise puis blanche à la verticale, Qarth s'étire merveilleuse et multicolore à l'horizontale. La seule verticalité de Qarth lui vient justement de ses trois murs d'enceinte, qui s'élèvent en hauteur au fur et à mesure qu'on pénètre à l'intérieur de la cité.
Vers l'ouest, on trouve le territoire du défunt empire de Ghis dont les trois "filles" - les cités esclavagistes d'Astapor, Yunkaï et Meereen - constituent les derniers restes (nous y reviendrons plus bas puisqu'elles constituent une étape fondamentale du parcours de Daenerys); un peu plus à l'ouest se trouve un autre empire défunt, celui de Valyria, détruit par un cataclysme volcanique - le Fléau - quelques siècles plus tôt; hors de la zone détruite par le cataclysme, subsistent les "filles" de Valyria, les "Cités libres", qui sont perpétuellement en guerre les unes contre les autres. Plus à l'ouest encore, un bras de mer relativement étroit permet d'arriver à Westeros. À l'ouest de Westeros, il y a un océan dont personne n'a pu rapporter avoir vu la fin (on sait par GRRMartin que sa planète est ronde comme notre Terre, mais aucun personnage connu dans le monde de la saga n'a pu témoigner qu'il avait traversé cet océan); selon le point de vue des Ouestriens, Westeros et Asshaï constituent donc les deux extrémités du monde qui est connu des plus érudits et/ou aventureux.
Comme "porte" ("gate" en vo) et nombril du monde (ou centre du monde, ici), Qarth poursuit en outre et achève la métaphore de la femme enceinte commencée dans le Désert Rouge et à Vaes Tolorro : c'est elle qui accouche véritablement de la Mère des dragons. Daenerys y est révélée au monde avec ses trois bêtes, elle y est exposée et les gens viennent de loin pour les contempler et apporter de multiples et riches offrandes, dont une couronne qu'elle conservera et portera lors de sa conquête de la Baie des serfs.
And the Tourmaline Brotherhood pressed on her a crown wrought in the shape of a three-headed dragon; the coils were yellow gold, the wings silver, the heads carved from jade, ivory, and onyx.
(Daenerys III, tome 2 A Clash of Kings)
Sur la métaphore de l'accouchement qui concerne les portes "gate", on pourra se reporter à ce que j'en ai déjà écrit au début d'un des articles consacrés à Sansa.
Qarth est également la cité qui abrite les Nonmourants dont Daenerys Targaryen ira consulter l'oracle dans le but d'être éclairée son avenir. Évidemment, elle n'y verra pas plus clair, mais son dragon noir Drogon les réduira en cendres en brûlant le coeur pourri et bleui qui semblait les maintenir dans un semblant de vie, ce que je crois une anticipation littérale de la future destruction du "coeur de l'hiver". J'ai consacré trois articles à la visite chez les Nonmourants, le premier pose le contexte littéraire du chapitre, le second analyse l'oracle rendu par les Nonmourants, et le troisième les visions finales de Daenerys.
Enfin, le séjour à Qarth de Daenerys occupe tous ses chapitres du tome 2 A Clash of Kings, à l'exception du premier, où elle traverse le Désert Rouge. Cela note l'importance narrative et symbolique de cette ville pour la saga et justifie donc que nous nous arrêtions pour examiner ses murs avec attention, puisque l'auteur prend la peine de nous les décrire avec assez de précision.
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À chaque mur d'enceinte correspond une pierre (couleur et consistance) associée à un métal pour ses portes : grès rouge + cuivre; granit gris + fer; marbre noir + or. On va voir que chaque matériau trouve des échos ailleurs dans la saga, ce qui nous permettra d'explorer des significations possibles.
Le premier mur est le moins haut, il est fait de "pierre de sable" (= grès) rouge et ses portes sont incrustées de cuivre : le cuivre est associé aux Dothrakis à cause de la couleur de leur peau ("copper skin"). Il est également associé aux tâches fastidieuses inhérentes à l'exercice du pouvoir royal, notamment à la nécessité des comptes, la pièce de cuivre étant une des petites monnaies frappées par la Couronne (il y a l'étoile de cuivre, le cerf d'argent et le dragon d'or), et il est le métal représentant le travail d'historien dans les chaînes des mestres : un travail de fourmi pour retrouver, compiler et analyser documents et témoignages qui servent à la rédaction d'une histoire "savante". Dans l'idée, le cuivre est brillant comme l'or mais on lui accorde bien moins de valeur parce qu'il en est une version abâtardie, plus faible et trompeuse, ou changeante.
"I swear to you, sitting a throne is a thousand times harder than winning one. Laws are a tedious business and counting coppers is worse. And the people … there is no end of them. I sit on that damnable iron chair and listen to them complain until my mind is numb and my ass is raw. They all want something, money or land or justice. The lies they tell …"
(Eddard, tome 1 A Game of Thrones)
Il est également associé au feu à propos de deux personnages : Melisandre d'Asshaï, la "sorcière rouge", dont les cheveux sont de cuivre et les yeux rouge feu; et Addam Marpheux, un des bannerets des Lannister, dont les cheveux sont également de cuivre et dont le blason familial représente un arbre en feu. Notons qu'Addam Marpheux est un cousin des Lannister et que les Lannister sont liés à l'or par leurs caractéristiques et la fortune qu'ils tiennent de l'exploitation de mines d'or sur leurs terres (le château seigneurial est lui-même installé dans une mine d'or). On retrouve donc avec lui le cuivre subordonné à l'or et fait pour les tâches subalternes mais pourtant indispensables, celles qui permettent à l'or de préserver sa "pureté", sa "noblesse" et sa position dominante. En bref, ici, le cuivre se salit les mains, et l'or les garde nettes.
Le grès rouge, quant à lui, est une pierre qui peut être très fragile comme très solide (ce sont des grains de sable agglomérés : la solidité de l'ensemble dépend donc de la solidité de la matière "liante", du mortier). Je pense qu'ici, il faut surtout la mettre en regard du granit gris de la seconde enceinte, sur lequel je reviendrai, et étudier sa symbolique : il y a bien sûr le rouge, auquel répond le cuivre des portes, dans le même thème de couleurs. Le rouge est celui du sang, de la vie : ainsi, avec le feu du cuivre, le mur extérieur illustre très concrètement la devise des Targaryens "Feu et Sang". Cependant, le mot anglais pour grès étant "sandstone" - "pierre de sable" - on pourrait ajouter que le pouvoir des Targaryens est construit sur du sable et par conséquent susceptible de s'écrouler et se dissoudre, comme s'est déjà écroulé et dissout l'empire de Valyria à la suite d'un cataclysme.
Les animaux sculptés pourraient alors dans cette optique symboliser les autres familles et lignées dominées par les Targaryens à Westeros, surtout en considérant que beaucoup de ces familles ont des animaux pour blasons. En poursuivant sur cette voie, les blasons pourraient se référer aux liens spécifiquement établis avec des types d'animaux et donc à d'anciennes lignées de change-peaux, comme on le voit pour les Stark de Winterfell dont les derniers héritiers se lient à des loups géants au début de la saga, réactivant par là une "magie" présente dans leur sang. Les Lannister, avec leurs cheveux d'or plusieurs fois comparés à la crinière d'un lion ont peut-être eux aussi eu autrefois un lien avec un animal fétiche, un lion. Les Arryn revendiquent leur lien avec les faucons jusque dans la légende de leur fondateur Artys Arryn, et les Baratheon ont repris le cerf des Durrandon en épousant la dernière héritière de cette lignée quelques siècles plus tôt. Et comme par hasard, les animaux cités dans la description de l'enceinte rappelle bien les grandes familles de Westeros : le serpent pour Dorne (les Martell n'ont pas de serpent sur leur blason, mais la lance pourrait en tenir lieu, et Oberyn Martell, frère du roi Doran, est bien surnommé la "Vipère rouge", et ses filles sont les "Aspics des sables"), l'oiseau de proie pour les Arryn, des poissons pour les Tully, des loups pour les Starks, venant du Désert Rouge pour représenter le lion Lannister sur fond écarlate, et le fait qu'il est un animal prédateur comme le loup; c'est assez ironique de voir les deux antagonistes principaux du début de la saga symbolisés par le même prédateur : ce ne sera pas la dernière fois que les deux maisons seront renvoyées dos à dos, entre les lions et les loups, la différence n'est que d'allégeance, comme le Conflans peut en témoigner puisqu'il a servi de terrain d'affrontements et de pillages aux armées Stark et Lannister.
"A lot of meat on a bear," the deep voice said. "A lot of fat as well, in fall. Good to eat, if it's cooked up right."
(Arya II, tome 3 A Storm of Swords)
Quant aux zèbres présents, ils pourraient être une version exotique du cerf des Baratheon (on a vu plus haut qu'étalon et "seigneur aux cornes" étaient une seule et même constellation et gardaient sans doute la mémoire d'un seul et unique personnage, ou d'une seule et unique lignée), tandis que les éléphants seraient la version "exotique" du kraken des Greyjoy ou une autre variation sur le cerf Baratheon à cause des défenses et du fait que les éléphants peuvent servir de monture, mais là, je dois reconnaître que c'est un peu tiré par les cheveux. Il n'y a du reste pas besoin que tout corresponde absolument, étant donné que la correspondance est assez transparente pour la majorité des animaux cités.
Ainsi, cette première enceinte faite de sable parvient à symboliser le royaume de Westeros avec toutes ses maisons grandes et petites, soumises au feu et au sang du dragon Targaryen.
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La seconde enceinte est plus haute que la première et offre elle aussi plusieurs lectures symboliques qui renvoient à Westeros et des pans de son histoire. En effet, le fer qui orne ses portes est bien sûr celui de la violence et de la guerre - ce qui convient parfaitement aux bas-reliefs de la muraille représentant des scènes de guerre et de massacres - et les Fer-nés en ont fait une valeur absolue avec le fer-prix comme récompense de leurs victoires et pillages. Le fer est aussi le métal dont est faite l'antique couronne des Stark "Rois du Nord", et il donne son nom au Trône de Fer, fabriqué à la demande d'Aegon Targaryen le Conquérant avec les épées des adversaires vaincus sur le champ de bataille.
En tous les cas, si la première enceinte venait à être détruite, la seconde enceinte - en granit gris et plus haute - assurerait une protection bien plus efficace en terme de solidité, et les bas-reliefs sonnent comme un avertissement : les Qarthiens sont prêts à la guerre s'il le faut et sauront où trouver des armées.
Cependant, le lien avec Westeros est encore plus prégnant avec cette seconde enceinte, car outre le fer, le granit gris est la pierre avec laquelle Winterfell a été érigé, cas presque unique dans les Sept Royaumes. Le granit est réputé très résistant au feu, comme le rappelle Stannis à Jon Snow dans le tome 3 A Storm of Swords, mais également comme peuvent le constater Bran Stark puis Theon Greyjoy qui ont tous les deux l'occasion de parcourir les ruines du château après son incendie par Ramsay Snow-Bolton et ses troupes : si l'intérieur et tout ce qui était en bois a disparu, les murs, eux ont tenu bon, et de loin, Winterfell ne porte pas de stygmates, comme la blanche Vaes Tolorro paraissait splendide et florissante de loin, mais lézardée et croulante de près.
At the edge of the wolfswood, Bran turned in his basket for one last glimpse of the castle that had been his life. Wisps of smoke still rose into the grey sky, but no more than might have risen from Winterfell's chimneys on a cold autumn afternoon. Soot stains marked some of the arrow loops, and here and there a crack or a missing merlon could be seen in the curtain wall, but it seemed little enough from this distance. Beyond, the tops of the keeps and towers still stood as they had for hundreds of years, and it was hard to tell that the castle had been sacked and burned at all. The stone is strong, Bran told himself, the roots of the trees go deep, and under the ground the Kings of Winter sit their thrones. So long as those remained, Winterfell remained. It was not dead, just broken. Like me, he thought. I'm not dead either.
(Bran VII, tome 2 A Clash of Kings)
Remarquons que les murs en granit n'ont pas empêché Winterfell d'être pris à deux reprises, par la ruse, et d'avoir été un piège mortel pour ceux de l'intérieur.
Un autre château de la saga est en granit gris; il n'attire que peu l'attention, car il est en ruine et la lignée qui le tenait est définitivement éteinte, puisqu'il s'agit du château des Hollard. Cependant, il offre une très intéressante lecture symbolique pour notre propos :
The course of the castle walls could still be discerned amongst the brambles, weeds, and wild elms, but the stones that had made them up were strewn like a child's blocks between the roads. Part of the main keep still stood, however. Its triple towers were grey granite, like the broken walls, but their merlons were yellow sandstone. Three crowns, she realized, as she gazed at them through the rain. Three golden crowns. This had been a Hollard castle. Ser Dontos had been born here, like as not.
(Brienne II, tome 4 A Feast for Crows)
On y retrouve le grès - mais jaune cette fois - ce qui donne aux trois tours de granit gris du château la forme de couronnes dorées, le blason des Hollard. C'était la demeure ancestrale de Dontos Hollard, le chevalier déchu qui a participé à l'enlèvement de Sansa du Donjon rouge. Si dans le parcours de Brienne ces trois couronnes d'or rappellent la prophétie qui fut faite autrefois à Cersei par Maggy la Grenouille - prédisant pour ses trois enfants une couronne d'or puis un linceul d'or - le granit du château en ruines se réfère symboliquement à Winterfell et nous y retrouvons une histoire de trois enfants (trois fils ?), que dans les articles sur Sansa j'ai identifiés comme trois fils d’une "reine corbeau", une reine du lointain passé des Stark de Winterfell. Et puisque nous parlons de Winterfell, nous allons y faire un tour à travers un rêve de Jon Snow, dans lequel il visite à nouveau les cryptes du château, passe entre les statues de granit des anciens seigneurs et rois qui lui murmurent "d'une lourde voix de granit" de partir parce qu'il n'est pas un Stark.
He dreamt he was back in Winterfell, limping past the stone kings on their thrones. Their grey granite eyes turned to follow him as he passed, and their grey granite fingers tightened on the hilts of the rusted swords upon their laps. You are no Stark, he could hear them mutter, in heavy granite voices. There is no place for you here. Go away. He walked deeper into the darkness. "Father?" he called. "Bran? Rickon?" No one answered. A chill wind was blowing on his neck. "Uncle?" he called. "Uncle Benjen? Father? Please, Father, help me." Up above he heard drums. They are feasting in the Great Hall, but I am not welcome there. I am no Stark, and this is not my place. His crutch slipped and he fell to his knees. The crypts were growing darker. A light has gone out somewhere. "Ygritte?" he whispered. "Forgive me. Please." But it was only a direwolf, grey and ghastly, spotted with blood, his golden eyes shining sadly through the dark . .
(Jon VIII, tome 3 A Storm of Swords)
Au lieu d'Eddard, Benjen, Bran et Rickon - sa famille - c'est un loup gris aux yeux d'or qui apparaît. Il pourrait s'agir d'Été, le loup de Bran aux yeux d'or, mais je soupçonne qu'il s'agit ici d'un autre loup géant, plus ancien et plus terrible, mort depuis longtemps - ce que laisse supposer le jeu de mot entre "ghastly" qui le caractérise et "ghostly" (fantomatique). Le fantôme d'un loup géant qui pourrait avoir un rapport avec l'homme à tête de loup couronné de fer présidant un festin de convives massacrés, qui apparaît dans une vision de Daenerys, lors de sa visite chez les Nonmourants, et qui la suit du regard avec des yeux tristes ( "sadly"). Bien que la couleur des yeux ne soit pas renseignée à ce moment, la scène de massacre est à mettre en regard du loup tâché de sang dont rêve Jon, qui par ailleurs entend les bruits d'un festin au dessus de lui.
Cela tombe bien, car à Qarth, le mur de granit est gravé de scènes de guerres et de massacres, parmi lesquelles des massacres d'enfants, un thème très développé dans la saga, sous différentes formes littérales ou symboliques, à travers les sacrifices rituels, les "nécessités" de la guerre ou de la politique (Rhaego, les enfants mâles de Craster, Cersei faisant tuer les enfants bâtards de Robert Baratheon, les enfants de Rhaegar Targaryen assassinés, les anonymes du moulin près de Winterfell tués et écorchés à la place de Bran et Rickon, le bébé dévoré par un des loups de Varamyr, etc...). On crédite toujours les enfants d'un avenir représentant une menace pour des hommes et des femmes du présent, et ce faisant, on l'inscrit d'office dans un cycle de violence et de vengeances sanglantes, sans beaucoup d'espoir d'échappatoire. Daenerys fait justement partie de ces enfants sacrifiés, elle a été pourchassée dès sa naissance et déchue de ses droits, vendue à un roi sanguinaire ayant plus du double de son âge contre une couronne, à cause de son nom et de son sang. Après la mort de son époux, elle risque encore à seulement 14 ans et dans le meilleur des cas, la relégation au Dosh Khaleen, avec les autres veuves de khals. Cependant, son sang de dragon la sauve une première fois du suicide et de la dépression à la suite d'un rêve dans lequel elle meurt sous le feu d'un dragon avant de renaître elle-même en dragon. Ce même sang la sauve une seconde fois avec la naissance inattendue des trois dragons, futures armes de destruction massive. La halte à Qarth est alors déterminante : en sortira-t-elle comme une vengeresse en quête d'une couronne (celle de Westeros) et de la réhabilitation de sa famille, ou restera-t-elle une victime de convoitises diverses et variées ? Sera-t-elle mangée ou ogresse elle-même ? Artisane de massacres d'innocents ou victime "innocente" ? Je n'analyserai pas ici la double nature du personnage de Daenerys, dont l'exercice de la justice a bien souvent un goût de vengeance comme lors de la conquête de la Baie des Serfs, mais qui par ailleurs peut faire preuve d'une sollicitude envers les plus misérables de ses enfants qui confine à l'inconscience, comme lorsqu'elle leur rend visite hors les murs de Meereen en pleine épidémie mortelle de caquesangue (une sorte de dysenterie). Notre héroïne est en outre consciente de sa propre ambiguïté puisqu'elle se fait la réflexion qu'elle a contemplé les scènes de massacre sans gêne, alors que les scènes d'amour du troisième mur d'enceinte la mettent mal à l'aise.
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Et justement, nous allons retrouver sur les portes de cette troisième enceinte des yeux d'or déjà aperçus sur les loups Stark, entre les murs de granit de Winterfell. En dehors des yeux des loups Stark, l'or est la première couleur des Lannister, illustrée par leurs cheveux, comme si le fait de naître et vivre depuis plusieurs générations dans une mine d'or leur en avait fait absorber la brillance. L'or est aussi la couleur de fond du blason des Baratheon : cerf noir sur fond or, où nous retrouvons les deux couleurs du troisième mur de Qarth : marbre noir et yeux d'or sur les portes, si bien que si nous voulions lire dans ces murailles une histoire comme j'ai commencé à le faire, nous pourrions voir en premier l'éphémère dynastie des Targaryen renversée par la Rébellion de Robert Baratheon activement secondé par son ami Eddard Stark (ce sont même les morts de lord Rickard Stark et de son fils aîné Brandon sous la "justice" du roi Aerys Targaryen qui ont été le principal déclencheur de cette rébellion), puis le retour de la paix sous l'égide de la dynastie noir et or Baratheon, le nouveau roi Robert prenant en outre pour reine Cersei Lannister. La promesse est celle d'une nouvelle ère de prospérité et d'abondance - comme est riche et prospère la cité de Qarth - d'autant qu'après le retour de la paix à Westeros, le plus long été connu depuis quelques générations commence.
La préciosité et hauteur valeur de l'or s'allie bien sûr au prestige du marbre, matière qu'on va retrouver en noir pour des statues de sphinges valyriens dans le Donjon rouge, ou à la sur les murs de la guilde des Alchimistes à Port Real : ici, le marbre noir est associé au vert du "feu sauvage" ("wild fire" ou "feu grégeois" selon la transcription en vf) et la couleur est choisie exprès pour limiter le plus possible l'exposition de cette substance très instable à la lumière, où elle risquerait d'exploser. La guilde des Alchimistes travaillant en outre dans le plus grand secret, le marbre noir apparaît ici comme un substitut du ciel nocturne. Les couples enlacés sur les murs de Qarth bénéficieraient pareillement de ce ciel nocturne pour conserver le secret de leurs ébats. Pourtant, exposés ainsi à la vue de tous, et observés par des yeux d'or ornant les portes, ils pourraient bien nous raconter une autre histoire, avec quelques secrets : en effet, si le loup du petit Bran a des yeux d'or, c'est le petit Bran qui au début du premier tome A Game of Thrones va surprendre à Winterfell le secret de la reine Cersei. Celle-ci couche avec son frère jumeau et les enfants de Robert Baratheon sont des bâtards de la reine. Or, le noir est également associé tout au long de la saga à la bâtardise. En d'autres termes, l'entrée de Daenerys à Qarth nous raconterait qu'elle aussi - comme Bran - a surpris le secret de la dynastie qui actuellement occupe le Trône de Fer : la couronne est passée à des héritiers dont la légitimité ne tient pas à leur sang mais à un fragile consensus et à l'aveuglement volontaire de puissantes maisons qui ont beaucoup à perdre à renoncer à un mensonge (et plus le temps passe, plus le prix du renoncement est élevé puisqu'il s'augmente du sang versé pour cacher ce mensonge ou le rendre plus acceptable : ainsi font les Tyrell en empoisonnant le jeune roi Joffrey pour mettre à sa place son gentil, docile et inoffensif petit frère Tommen.
Si la troisième muraille est la plus haute, le marbre est cassant et fragile, ce qui symboliserait la fragilité et l'incertitude de la paix et de l'abondance promise par ces couples d'amoureux. D'ailleurs, la guerre des Cinq Rois éclate peu de temps après l'avènement de Joffrey Baratheon et l'exécution de la Main Eddard Stark.
Et par un effet de retournement, l'histoire racontée par ces murailles peut se lire dans l'autre sens : la reine Cersei et son frère Jaime ont une liaison secrète et engendre des bâtards, puis le secret est éventé et une sanglante guerre civile éclate, gagnant progressivement tout Westeros après avoir d'abord touché le Conflans, la région centrale; après quelques années de conflit armé ouvert, Westeros est exsangue ou peu s'en faut, et les grandes maisons ou ce qu'il en reste évoluent dans un océan de sang, prêtes à la désagrégation.
- AU-DELÀ DES MURS -
Puisque Qarth est le "centre du monde" et que Daenerys y reçoit des visions et prophéties chez les Nonmourants, sortes de vervoyants d'Essos, osons prendre un brin de distance et voir un peu plus loin que les histoires que nous venons d'évoquer.
Tout d'abord, nous allons revenir sur les trois métaux, cuivre, fer et or, que j'ai analysés séparément :
The armorer considered that a moment. "Robert was the true steel. Stannis is pure iron, black and hard and strong, yes, but brittle, the way iron gets. He'll break before he bends. And Renly, that one, he's copper, bright and shiny, pretty to look at but not worth all that much at the end of the day."
And what metal is Robb? Jon did not ask. Noye was a Baratheon man; likely he thought Joffrey the lawful king and Robb a traitor.
(Jon I, tome 2 A Clash of Kings)
Donal Noye, l'ancien armurier des Baratheon, celui qui fabriqua pour Robert son marteau de guerre avec lequel il pulvérisa le dragon Targaryen à la bataille du Trident, associe chacun des trois frères Baratheon à un métal. On y retrouve le fer et le cuivre, et si Robert est ici associé à l'acier véritable (à la fois fort et souple), Robert a plus tard épousé une Lannister et toute sa maisonnée puis sa cour se sont trouvées envahies par l'or. Donal Noye par là du Robert d'avant sa prise de pouvoir, celui qu'il a connu avant d'aller au Mur.
Mais le point intéressant est le lien entre les trois métaux et trois frères, un lien familial. Comme on retrouve le schéma de trois frères autour d'une couronne, avec un ou plusieurs fratricides à la clé (l'ombre de Stannis tue Renly et le même Stannis fait l'amère réflexion qu'il se trouvera bien des gens pour prétendre qu'il s'est "changé" en sanglier pour tuer aussi Robert à une partie de chasse), par exemple avec les Greyjoy (Balon et ses deux frères Euron et Victarion), ou de manière plus symbolique aux Eyrié autour de Lysa Arryn avec le petit Robert, Marilion et Littlefinger, ou même chez les Stark avec Robb, Bran et Rickon privés tous les trois plus ou moins définitivement de la couronne du Nord (d'ailleurs, le parallèle avec les frères Baratheon est établi par Jon dans la citation précédente). La récurrence de ce schéma permet de supposer qu'il s'agit de variations sur un thème énoncé dans le passé, forcément le passé lointain, l'histoire qui va remonter aux origines des Autres, du Mur, de Winterfell, des Targaryen et des dragons. En bref, l'histoire de la Longue Nuit. Et justement, une nuit est symbolisée à Qarth par ce grand mur de marbre noir, dévoilant par le biais de yeux d'or une bâtardise originelle.
Revenons un peu au marbre noir et son possible développement littéraire. À Westeros, il y a un château construit en marbre blanc (ou du moins recouvert de marbre blanc à l'extérieur et dans la salle du trône à l'intérieur : il s'agit des Eyrié, le siège seigneurial du Val d'Arryn. Je me suis longuement attardée sur ce marbre blanc dans les analyses consacrées à Sansa, et je résumerai donc : le marbre des Eyrié est associé au froid glacial, et les colonnes de marbre à des Autres qui formeraient la garde personnelle d'une reine-corbeau siégeant sur un trône de barral blanc. Une reine qui convoite la force et le sang d'une princesse pour son fils le plus monstrueux (et héritier du trône), mais qui la jalouse parce qu'elle la concurrence. Le marbre blanc des Eyrié couvre des crimes de sang et son aspect glacial l'apparente au Mur.
Le Mur est gardé par les Gardes Noirs, surnommés les "corneilles". L'emblème du Val d'Arryn est un faucon blanc, un oiseau de proie qui vole très haut et a l'oeil très perçant (le fondateur de la lignée Arryn était réputé change-peau, avec un faucon pour animal fétiche, ce qui lui aurait permis de remporter une victoire décisive aux pieds de la montagne Lance du Géant, où seront plus tard érigées les Portes de la Lune, forteresse défendant le chemin qui mène aux Eyrié, perchés plus haut dans la montagne). Au sommet de la plus haute tour de Winterfell, des corneilles noires font elles aussi le guet et c'est en voulant les rejoindre que le petit Bran a surpris le secret de la reine Cersei. Oiseau blanc, oiseau noir, mur blanc, mur noir, les oppositions apparentes mettent en valeur des parallèles nombreux, et si un grand mur blanc glacé peut cacher des crimes de sang, il pourrait également cacher des crimes par amour :
(Bran II, tome 1 A Game of Thrones)
Bran portant le même nom que le légendaire Brandon le Bâtisseur, auquel est attribué la construction du Mur et de Winterfell (mais aussi d'Accalmie, le siège seigneurial des Baratheon), il est loisible d'imaginer que ce Brandon du passé (un probable vervoyant, comme le petit Bran) a usé de sa magie pour ériger des murs susceptible de protéger les siens de secrets mortels pour eux.
Si nous tentons de reconstituer une histoire passée, cela donne ceci : le Roi des Premiers Hommes a un règne prospère, mais sa reine lui prépare des bâtards. Peut-être que lui aussi en a, d'ailleurs. Sûrement qu'il en a, en fait, si on veut poursuivre un parallèle avec Cersei et Robert et la prophétie faite par Maggy la Grenouille qui semble sortir de nulle part (surtout sur le nombre de bâtards engendrés par Robert Baratheon) :
"Queen you shall be . . . until there comes another, younger and more beautiful, to cast you down and take all that you hold dear."
Anger flashed across the child's face. "If she tries I will have my brother kill her." Even then she would not stop, willful child as she was. She still had one more question due her, one more glimpse into her life to come. "Will the king and I have children?" she asked.
"Oh, aye. Six-and-ten for him, and three for you."
(Cersei VIII, tome 4 A Feast for Crows)
Après la mort du roi, c'est donc la guerre entre ses héritiers. Une guerre sanglante et cruelle (le mur de granit et le fer), dont le résultat est un bain de sang et l'éclatement du royaume en multiples entités (le mur rouge de grès et le cuivre), chacune dirigé par son propre seigneur, sa propre lignée, et toujours guerroyant entre elles, mais ayant fini par oublier leur premier prétexte pour la bataille, à l'image des Nerbosc et des Bracken qui rallument occasionnellement (et au premier prétexte) une querelle très ancienne.
Puisque dans la partie précédente nous avons tenté une lecture des trois murailles dans un sens puis dans l'autre, je vais proposer la même chose pour cette tentative de reconstituer une histoire du passé : ainsi, l'enceinte de grès rouge pourrait raconter ce qu'a été le Pacte entre les Premiers Hommes et les Enfants de la Forêt. On sait en effet que lors de leur arrivée Westeros, les Premiers Hommes se sont opposés aux êtres qui peuplaient ce continent et avaient un lien très fort avec toute la nature, terre, végétation, eau, roche... Le Pacte est venu mettre fin à de longs et sanglants affrontements et si nous ne savons pas exactement en quoi il a consisté, vu son ancienneté, il apparaît certain que plusieurs lignées de Premiers Hommes ont reçu le "Don", c'est-à-dire que leur sang a reçu les facultés déjà présentes dans le sang des Enfants de la Forêt, à savoir le fait de se mêler à la nature et aux animaux. Les Enfants de la Forêt ont-ils reçu en partage du sang humain ? En tous les cas, le rouge du grès représenterait alors le sang comme support (ou essence ?) de cette magie, et le cuivre pourrait rappeler que le feu est entré dans le rituel, à moins qu'il ne symbolise la chaleur de la vie, ou les deux choses à la fois.
Cependant, les hommes aimant guerroyer, il est sûr qu'il se sont servi de cette magie comme d'un instrument de pouvoir sur les autres hommes et sur le monde en général : la paix induite par le Pacte était construite sur du sable et le sang n'a pas cessé d'être versé : le Pacte aurait été trahi et la guerre aurait fait rage entre les différentes lignées d'hommes, pour s'approprier le pouvoir reçu par les uns et les autres :
(Bran III, tome 5 A Dance with Dragons)
Ainsi, cette première enceinte de Qarth parvient facilement à symboliser un épisode fondamental de l'histoire de Westeros. J'ai envie d'ajouter qu'il s'agit de l'acte fondateur du cycle que la saga est en train d'achever, la "magie" étant entrée dans le monde des hommes avec le Pacte, elle devrait en sortir plus ou moins définitivement avec la conclusion de la saga : en effet, d'un point de vue littéraire, A Song of Ice and Fire est un cycle qui a piégé ses personnages et chacun d'eux tente à sa manière de briser les ficelles qui font de lui un pantin, comme exprimé par Tyrion,
It all goes back and back, Tyrion thought, to our mothers and fathers and theirs before them. We are puppets dancing on the strings of those who came before us, and one day our own children will take up our strings and dance on in our steads.
(Tyrion X, tome 3 A Sotrm of Swords)
... ou par un mestre imaginaire cité par Rodrik Harloi :
"Archmaester Rigney once wrote that history is a wheel, for the nature of man is fundamentally unchanging. What has happened before will perforce happen again, he said.(...)"
(The Kraken's daughter, tome 4 A Feast for Crows)
La guerre entre les différentes lignées humaines prit fin avec un mariage, ou plusieurs. Comme lorsqu'Orys Baratheon, le supposé frère bâtard d'Aegon - ou tout au moins son plus proche compagnon - épousa l'unique héritière du défunt roi de l'Orage, Argilac Durrandon, dont il adopta le blason au cerf noir couronné. Il fonda ainsi la dynastie Baratheon sur les ruines de la dynastie Durrandon. Après tout, un mariage est une autre manière de s'arroger un "sang", et Daenerys - le "sang du dragon" - fut vendue à un roi contre une couronne et les débuts de son union avec khal Drogo se résume à un viol quotidien qui la mène au bord du suicide. L'institution de la "Première nuit" à Westeros donne pareillement au roi ou seigneur local le droit de violer les femmes vivant sur ses terres. Il semble, avec l'exemple du sauvageon change-peau Varamyr que ce soit dans l'optique de perpétuer une lignée au sang "magique", dans une volonté de contrôle de cette magie puissante.
Je finirai sur une autre image à laquelle le mur de grès rouge me fait indirectement penser : il s'agit de la légende de la reine Nymeria, guidant tout son peuple de Rhoynars dispersés par le feu des dragons des seigneurs Valyriens, jusqu'à ce que les survivants arrivent et s'installent à Dorne et que Nymeria épouse le seigneur de la maison Martell (qui y gagna la primauté sur Dorne mais ne prit jamais le titre de roi). Les Ouestriens l'associent à une voie lactée visible dans leur ciel nocturne, mais un mur se désagrégeant en sable et dispersé par le vent ou le souffle de dragons pourrait tout aussi bien convenir comme métaphore, d'autant que le blason Martell un soleil rouge percé d'une lance d'or sur un champ orange, des couleurs concordantes avec le cuivre et grès rouge de cette première muraille. Mais je devrai revenir sur la légende de Nymeria à l'occasion des analyses que je prépare sur Arya Stark : Nymeria est en effet le nom qu'elle a choisi pour sa louve, en hommage à cette reine guerrière.
- CONCLUSION -
Elle sera brève, puisque notre périple à travers les murs, suivant celui de Daenerys, est loin d'être achevé.
Nous venons de voir comment la princesse Targaryen, dernière héritière du sang de dragon, était amenée dès le commencement de la saga au coeur de l'histoire de Westeros et des enjeux littéraires des héros, qui est de mettre fin à des cycles, en l'occurrence à ce que je crois être un cercle vicieux. La sortie de Qarth va révéler la nature du dragon, destructrice et meurtrière. Mais avant que de passer à la conquête de la Baie des Serfs, nous devons jeter un dernier coup d'oeil aux trois murs de Qarth et prendre conscience qu'ils trouvent un écho singulier dans les prophéties faites par les Nonmourants à Daenerys.
three fires must you light . . . one for life and one for death and one to love . . . (...)
. . . three mounts must you ride . . . one to bed and one to dread and one to love . . . (...).
. . . three treasons will you know . . . once for blood and once for gold and once for love . . .
(Daenerys IV, tome 2 A Clash of Kings)
Tous les éléments cités figurent d'une manière ou d'une autre sur ces trois murs, ce qui renforce encore la portée symbolique et littéraire de cette longue halte à Qarth. D'autre part, la manière dont elle est qualifiée par les Nonmourants - "fille de la mort, tueuse de mensonges et fiancée du feu" - s'accorde là encore avec les trois murs, bien que ce ne soit pas tout à fait dans l'ordre. Cela suppose que notre Daenerys du présent serait bien en train de rejouer à sa manière l'histoire d'une héroïne du passé, une première lune mère de dragons. Peut-être la rivale de la reine corbeau hivernale restée à Westeros ? Ou s'agit-il d'une autre "princesse" ? Une soeur de trois fils spoliée d'un héritage parce que fille ?
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