Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

La Catabase

Quel est l'audacieux
Qui dans ces sombres lieux
Ose porter ses pas,
Et devant le trépas
Ne frémit pas ? 

 (Choeur des Furies, Acte II scène 1, Orphée et Eurydice, Christoph W.Gluck)

 

 Les deux dernières semaines de route avaient été misérables. Sansa accablait sa soeur de reproches et lui répétait que Lady était morte à la place de Nymeria. Arya ne se remettait pas davantage de la fin sinistre du garçon boucher. Sansa pleurait à chaudes larmes toutes les nuits. Tout le jour, Arya ruminait en silence. Et leur père rêvait d'un enfer glacé réservé aux Stark de Winterfell.

(Eddard IV, tome 1 A Game of Thrones)

 

 

 

 La "catabase" est le mot grec pour désigner dans les arts en général et la littérature occidentale en particulier le moment où un héros descend aux Enfers, au royaume des morts. Je l'ai préféré à "descente aux Enfers" qui a une connotation un peu différente en français dans la mesure où "Enfer" s'est chargé d'un sens négatif qu'il n'a pas toujours eu. Une "descente aux enfers" est synonyme de "situation qui empire" pour le personnage concerné; or, a priori, Sansa a déjà touché le fond auparavant, au Donjon Rouge, séparée de sa famille et seule survivante connue, enfermée, humiliée, battue puis répudiée par le roi Joffrey, mariée à un nain contre son gré, etc... L'enlèvement par Littlefinger constitue dans les faits une amélioration de son sort à défaut d'être une véritable délivrance. Son départ du Donjon Rouge s'inscrit donc narrativement comme une sortie de l'enfer pour le personnage, avec la possibilité d'une renaissance offerte grâce à sa nouvelle identité. 

Ce n'est cependant pas ce point que je souhaite analyser en détail, mais au contraire, je m'appuie sur les éléments littéraires qui font de ce chapitre - en particulier de sa seconde partie - un séjour au royaume des morts, à l'instar du petit Bran qui dans le tome 5 A Dance with Dragons descendra dans la grotte du vervoyant pour se greffer aux racines d'un barral et explorer la mémoire de Winterfell et des Stark, donc celle des morts. Un schéma qu'on retrouve également avec Arya Stark chez les Sans-visage à Braavos, qui apprend à être "personne" - c'est-à-dire à se dépouiller entièrement de son identité Stark pour pouvoir en revêtir d'autres sans laisser une trace "stark". Cela passe notamment par la pratique d'un jeu de mensonges et de vérités. Si Bran plonge dans la mémoire passée, Arya doit, elle, en faire table rase en distinguant les mensonges des vérités; condition pour construire un avenir ? Et Sansa, alors ?  

 

  Le parallèle avec Blanche-Neige se poursuit évidemment dans cette troisième partie de l'analyse du dernier chapitre du tome 3, A Storm of Swords, avec une extension du thème qui n'existe pas sous cette forme dans le conte lui-même, mais qui brode autour du devenir post-mortem et/ou post-mariage de Sansa.

 En effet, après l'enterrement de la princesse, et les prétendants qui se pressent à son cercueil, nous  accompagnerons notre princesse à l'intérieur de la tombe, du côté du royaume des morts, et nous irons voir avec elle dans son antre la reine des lieux, incarnée pour l'occasion par Lysa Arryn. Nous verrons également que ce passage de l'autre côté transforme notre paradigme de Blanche-Neige et que si les princes de GRRMartin n'ont rien de charmant, les princesses ne sont pas davantage là où elles sont attendues. 

 Après avoir entrouvert la porte sur les tragiques amours d'une princesse ourse, d'un "loup bâtard" et d'un vervoyant, que pourrait donc nous raconter la rencontre avec la reine ? 

 

 Avant de commencer, on veillera à ne pas confondre "gate" et "door", tous deux traduits en français par "porte" : la différence est physique - dans leur gabarit - mais également dans leur traitement littéraire et donc leur sens symbolique dans la saga : les Portes de la Lune et la Porte de la Lune sont tous les deux l'enjeu de la confrontation entre Lysa et Sansa, et pour une fois le français permet un jeu sur les mots très bienvenu, tant il paraît clair que GRRMartin joue sur ces deux lieux :

 

- les Portes de la Lune (au pluriel) sont la grande forteresse dans la vallée qui garde la route menant aux Eyrié, et qui sert de résidence d'hiver aux seigneurs suzerains du Val. En anglais, il s'agit de "Gates of the Moon" : le mot "gate" (ou "gates") est utilisé plusieurs fois dans la saga et chaque fois pour impliquer une notion de franchissement de frontière, de passage d'un monde à l'autre, comme pour la "black gate" - la Porte Noire - qui se trouve dans le Mur, à Fort Nox, et permet de passer en-deça ou au-delà du Mur. "Gate" symbolise donc logiquement et de manière récurrente la venue au monde d'un enfant, une naissance, mais également le passage dans l'autre sens, de la vie à la mort.

 

- la Porte de la Lune (au singulier) est une porte de barral dans la grande salle des Eyrié, ouvrant sur le vide et par laquelle on précipite ceux que la justice du seigneur a condamnés à mort. En anglais, c'est "Moon's door". "Door" n'implique pas une frontière à franchir comme "gate", mais une simple porte qui s'ouvre ou se ferme sur un endroit qui recèle des vérités tenues secrètes, car mortelles en l'état. C'est la porte du placard dans lequel on a caché le cadavre, par exemple, une sorte de troisième oeil. Il faut d'abord franchir des "portes-frontières" ("gates") ainsi que des "ponts" ("bridges") avant d'arriver au placard à secrets. Pour illustrer concrètement, Bran Stark va franchir la Porte Noire à Fort Nox et se retrouver au-delà du Mur, puis une fois dans la grotte des vervoyants, il se servira du barral comme d'une porte-fenêtre qui s'ouvre sur l'histoire véritable de Winterfell et des Stark. C'est aussi par une fenêtre qu'il surprend l'inceste de la reine Cersei avec Jaime et fait une chute mortelle. Dans un de ses rêves, Daenerys franchit la porte rouge ("red door") qui l'obsède et se voit dans l'armure de Rhaegar Targaryen (son frère), le "dernier dragon" mort au Trident. 


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