Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Confessions intimes

 

 

 

  À présent que nous avons vu la menace mortelle que font peser sur Sansa les mots et les gestes de lady Lysa, voyons donc ce qu'ils racontent, à savoir le malheur de Lysa, son amour non payé de retour pour Petyr Baelish, avec la liste de tous ceux qu'elle tient pour coupables envers elle et voleurs. C'est-à-dire que le "procès" ne se limite pas à Sansa mais que celle-ci a réveillé les griefs anciens de Lysa que ni le mariage avec Littlefinger, ni la mort des "coupables" n'ont effacés :

 

"Ils ont tous essayé de me le dérober. Mon seigneur père, mon mari, ta mère..., Catelyn surtout."

 

  Hoster Tully, premier de la liste ("mon seigneur père"), en plus de l'avoir fait avorter alors qu'elle était enceinte de Petyr, l'a vendue à un vieux seigneur, lord Jon Arryn, contre son appui armé dans la Rébellion de Robert Baratheon, faisant littéralement de sa fille une prostituée, une "pute" ("whore"). "Où vont les putes ?" demanda Tyrion à son père Tywin avant de le tuer. On peut donner une réponse : elles vont dans les châteaux-tombeaux des rois et des lords. Avant d'être une "reine des Enfers", Lysa Tully était une innocente princesse, avide d'être aimée, que son père a vendue contre des épées. 

 

 "Père a dit que je devais rendre grâces aux dieux qu'un si grand seigneur que lord Arryn condescendît à me prendre souillée, mais j'ai bien compris, moi, qu'il le faisait uniquement pour avoir nos épées. Il m'a fallu épouser Jon, sans quoi mon père m'aurait mise à la porte comme il l'a fait avec son frère (...)."

 

 Lord Tywin Lannister - le "créateur de putes" qui ne sait pas où elles vont - n'a pas flanqué sa fille ni ses frères à la porte, mais deux femmes, après les avoir soumises à un traitement particulièrement dégradant et destructeur physiquement et moralement, les assimilant à des prostituées qu'elles n'étaient pas : Tysha, la première épouse de Tyrion (Tywin aurait même demandé à Jaime de mentir en prétendant que Tysha était une prostituée payée par lui pour déniaiser le petit frère à l'occasion de son anniversaire); et la maîtresse officielle du père de Tywin, qui n'est pas nommée, mais que Tywin a soumise à une "marche de la honte" à travers la ville de Port Lannis après l'avoir dépouillée de tout. La reine Cersei Lannister, fille de Tywin, subira (presque) semblable marche de la honte dans Port Real. Les deux premières avaient le tort aux yeux de Tywin de viser trop haut par rapport à leur position sociale; par ironie, c'est l'ambition de Cersei à être reine - l'orgueil transmis dès le biberon par Tywin - qui sera responsable de sa chute et de la honte sur la maison Lannister. Les Lannister, une maison qui échoue au pied du trône et paye un lourd tribut pour avoir désiré s'y hisser. 

 

 Lysa Tully/Arryn/Baelish n'a jamais pardonné à son père et ni daigné répondre aux lettres l'informant de son agonie puis de sa mort ainsi que des ravages subis par le Conflans, dont les Tully étaient suzerains. Ironiquement, Lysa aura retenu les épées du Val d'Arryn et laissé crever le Conflans, comme toute sa famille - son père et sa soeur Catelyn en premier, et si son frère Edmure et son oncle Brynden sont encore vivants à la fin de 5e tome, leurs situations respectives ne sont guère florissantes. La jeune fille - la Jouvencelle - instrumentalisée par son père s'est changée en Mère dont la progéniture aimée et très protégée propage la mort et la destruction autour d'elle sous des dehors aimables (comme Littlefinger et Marillion) ou inoffensifs (comme Robinet chéri). En quelque sorte, la possessive Mère et l'orgueilleux Père donnent naissance à l'Étranger. 

 

  Catelyn, la soeur de Lysa, est la seule à être nommée, mais également la seule dont Lysa ne rappelle pas immédiatement le lien qui l'unit à elle : elle dit "mon père", "mon mari", mais "ta mère" au lieu de "ma soeur", comme pour souligner le fait que Lysa attribue sa plus grande douleur à celle qui lui était la plus proche, mais aussi celle avec laquelle la rupture semble la plus irrémédiable à première vue. Si Lysa cherche à mettre Sansa à distance en ne rappelant pas le lien de parenté - peut-être pour ne pas se retrouver chargée du crime de parricide ("kinslayer", "tueur des siens") - sa nièce répète "ma mère ?", comme une petite parade qui oblige Lysa à se découvrir davantage au cours de la joute, malgré qu'elle ait le dessus. Cette simple réplique de Sansa déclenche une nouvelle salve de mots accablant Catelyn, qui permet à la jeune fille d'en remettre une couche : 

 

 - "Non." Ma mère est morte ! Elle avait envie de hurler. Elle était votre propre soeur, et elle est morte ! "Jamais. Pas elle."

 

 Si Sansa ne passe pas véritablement à l'attaque, elle résiste et pousse quelques petites bottes, comme ce petit "Non. Jamais. Pas elle." Et Lysa d'attaquer de plus belle en dévoilant cette fois des faits réels du passé, ceux qui lui permettent d'accuser Catelyn et de la confondre avec Sansa, oubliant totalement qu'elle est censée s'adresser à Alayne Stone. 

 

"(...) et Petyr a essayé d’embrasser ta mère, mais elle l’a repoussé. Elle se riait de lui ! Et lui, il avait l’air tellement blessé que j’ai cru que mon coeur allait éclater, et, après, il s’est mis à boire, mais à boire tellement qu’il a fini par s’effondrer, là, sur la table. Et Oncle Brynden l’a remporté bien vite dans son lit avant que Père ne puisse le voir dans cet état. (...)

 C'est cette nuit-là que je suis montée le rejoindre dans son lit pour le réconforter. Oh ! Il m'a fait saigner ! mais ç'a été la plus voluptueuse des douleurs... Il m'a dit alors qu'il m'aimait, seulement, juste avant de resombrer dans le sommeil, il m'a appelée Cat."

 

 Nous apprenons que Petyr Baelish a menti à Sansa quand il lui a raconté que sa mère était amoureuse de lui dans sa jeunesse (Sansa V, tome 3 A Storm of Swords) : on s'en doutait déjà par les chapitres consacrés à Catelyn, mais nous en avons ici la confirmation. Et finalement, c'est ce qui est important pour le parcours de Sansa : celle-ci peut recueillir et conserver quelque part dans sa mémoire la preuve que Petyr Baelish est un menteur. Cependant, compte tenu de son état d'ébriété avancé, Petyr est peut-être sincère lorsqu'il prétend avoir défloré Catelyn; il murmurait son nom cette nuit en croyant réellement avoir affaire à elle - d'autant que Catelyn et Lysa se ressemblaient, ayant au moins une chevelure semblable. Poursuivant le parallèle entre Lysa et Cersei, on pense à Robert Baratheon murmurant "Lyanna" à Cersei la nuit de leurs noces.

 Au finale, ce qui ressort de l'histoire tragique de Lysa, c'est qu'avant de devenir la reine-corbeau-barral, souveraine d'un monde de morts, folle ogresse elle-même, notre méchante reine était une jeune fille pleine d'innocence, une Sansa Stark. Et puisque nous sommes dans le parallèle avec Blanche-Neige, nous avons dans ces confessions une intéressante réécriture des scènes où la méchante reine demande à son miroir magique la vérité, avec plusieurs sens de lecture possibles qui se répondent : 

 - Lysa demande la vérité au miroir-Sansa, celle qui est de son sang, la fille de sa soeur, et avec laquelle l'histoire passée se répète : le miroir lui répond l'insupportable vérité - qui sera confirmée dans les derniers mots qu'elle entendra de la bouche de Littlefinger, avant qu'il ne la pousse dans le vide - Catelyn a toujours été la seule aimée. Comme Sansa est celle qui est convoitée. Lysa n'est qu'une couverture, ou un marchepied pour atteindre une autre proie. 

 - le bois de barral jouerait le rôle du support magique, et Lysa, comme miroir de la belle et jeune Sansa, serait la passeuse de vérité : elle lui raconterait ce qui l'attend. Ce n'est plus la reine qui demande la vérité et l'obtient, mais la princesse qui voit dans le miroir son possible avenir. La belle princesse - loin d'épouser l'amour de sa vie ou le jeune et beau prince - épouse les nains, les monstres, les vieux, en bref, tous les tue-l'amour imaginables. Même une maternité heureuse lui est refusée. Non, ils ne vécurent pas heureux et n'eurent pas beaucoup d'enfants, ou comme l'a déjà dit Littlefinger à Sansa dans le premier tome A Game of Thrones, "la vie n'est pas une chanson". 

 

 

˜˜

 

 En accusant Catelyn après avoir accusé Sansa, Lysa confond le passé, le présent et les personnes dans un même mouvement. Les mots ("words") de la confession sont l'épée ("sword") dont Lysa se sert pour asséner ses coups à Sansa, la blesser et la mettre à mort, ou plus exactement pour tuer à travers elle son propre passé et se venger de ceux qui ont tué la princesse innocente qu'elle était :

 

 Mais tu ne te rappelles rien de tout ça, si ?" Elle la foudroya du regard. "Si ?"

C’est qu’elle est ivre, ou qu’elle est folle ?

"Je n’étais pas encore née, madame.

- Tu n’étais pas encore née... Hé bien, moi, je l’étais déjà, alors ne prétends pas m’apprendre ce qui est vrai. Je sais ce qui est vrai. Tu l’as embrassé !"

 

 Lysa est-elle vraiment folle ou est-il possible de lire autre chose ici ? Comme nous avons déjà vu les liens littéraires entre Lysa et les barrals, je pense qu'on peut raisonnablement voir là encore un de leurs effets kiss cool : étant des arbres éternels, leur perception du temps est fondamentalement différente de celle des hommes, comme l'explique le vervoyant Freuxsanglant au jeune Bran qui l'a rejoint dans sa grotte et poursuit auprès de lui l'apprentissage de ses pouvoirs : 

 

Un barral vit à jamais si on le laisse en paix. Pour eux, les saisons s'écoulent en un battement d'ailes de papillon, et passé, présent et futur ne font qu'un. 

(Bran III, tome 5 A Dance with Dragons)

 

 Ainsi, Lysa confond naturellement Sansa et Catelyn. Symboliquement, elle a raison, car les histoires se répètent, en vertu de ce que prétendait l'archimestre Rigney cité par lord Rodrik Harloi, dit le Bouquineur, afin d'avertir sa nièce Asha Greyjoy de ne pas se rendre aux États généraux de la Royauté, après la mort du roi des Îles de Fer, Balon Greyjoy (lord Rodrik craignant qu'Euron Greyjoy n'en profite pour massacrer toute sa parentèle et demeurer seul héritier; Euron se montrera bien plus subtil que cela, mais pour un résultat semblable, et - petite cerise sur le gâteau - ce même Euron est surnommé Oeil-de-Choucas, "Crow-Eye").

 Dans les faits, Lysa n'a pas davantage tort : à l'origine des deux situations, nous retrouvons un Petyr Baelish qui guigne Sansa/Catelyn, mais doit se rabattre sur la tante/soeur, avec des conséquences dramatiques pour cette dernière, simple marionnette aux mains de joueurs mieux entraînés qu'elle : mise enceinte par Petyr Baelish - qui se vengeait peut-être alors de ce qu'on lui avait refusé la main de Catelyn parce qu'il était de naissance trop basse - elle est contrainte d'avorter par son père, puis vendue contre une alliance armée à un vieillard qui aurait pu être son grand-père et à l'haleine fétide. Elle enchaîne les fausses couches et les accouchements d'enfants mort-nés avant d'avoir le petit Robert, malingre, et dont l'entourage doute de la survie possible (il ne servira même pas à caler les meubles). 

 

 Cette confusion de la mémoire entraîne un effet de miroir entre les deux soeurs Tully et les deux soeurs Stark : en effet, si la séparation forcée entre Arya et Sansa semble avoir beaucoup atténué, voire effacé, leur contentieux (les souvenirs qu'elles ont l'une de l'autre s'adoucissent radicalement, comme on a pu le voir de ceux de Sansa au début du chapitre), leurs relations ont toujours été houleuses et chacune d'elle y a perdu sa louve : Arya a dû chasser sa Nymeria à coups de pierres pour l'empêcher d'être tuée par les Lannister, et la Lady de Sansa a été exécutée à sa place. En outre, de la même façon que Lysa reproche à Catelyn de lui avoir volé l'amour de Petyr Baelish (le "prince des Libellules" de leur enfance et adolescence), c'est un incident entre Arya et Joffrey - le prince promis de Sansa - qui est à l'origine de la perte des louves et très certainement aussi de la cruauté dont Joffrey fait preuve envers Sansa, comme le suggère Cersei : le garçon ferait payer à Sansa l'humiliation qu'Arya lui a infligée au Trident. 

 

"Joffrey will show you no such devotion, I fear. You could thank your sister for that, if she weren't dead. He's never been able to forget that day on the Trident when you saw her shame him, so he shames you in turn. You're stronger than you seem, though. I expect you'll survive a bit of humiliation. I did. You may never love the king, but you'll love his children."

(Sansa IV, tome 2 A Clash of Kings)

 

 Le grief de Lysa envers Catelyn me semble mettre en lumière un autre possible élément du passé des Stark, que j'ai évoqué juste avant avec la figure de la Corneille : une rivalité entre deux soeurs à propos d'un partenaire masculin. Je ne pense cependant pas qu'il s'agisse des mêmes personnages : à mon sens, la "Corneille" au féminin serait une soeur "choisie", ou plutôt une belle-soeur, comme Margaery ou Myrcella auraient pu le devenir pour Sansa, là où il semble que la reine corbeau avait une soeur de sang avec laquelle elle serait entrée en concurrence pour une raison encore inconnue, bien que je soupçonne cette soeur d'être la mère (adoptive) du "loup bâtard", comme Catelyn a pu être celle de Jon.   

 On retrouve également ce schéma dans la rivalité entre la solaire Cersei Lannister et la lunaire Lyanna Stark, à propos du prince Rhaegar Targaryen et du roi Robert Baratheon, bien qu'elles n'aient aucun rapport de sororité et qu'elles ne se soient possiblement jamais croisées que de loin. En effet, c'est leurs métaphorisations respectives qui permettent d'établir ce lien entre elle, et le fait que par deux fois, Lyanna a enlevé un homme à Cersei :

 

Sansa est ta soeur. Que vous soyez aussi différentes que le soleil et la lune, il se peut, mais le même sang fait battre vos deux coeurs. 

 (Arya II, tome 1 A Game of Thrones)

 

Cersei aurait pu donner au prince les fils qu'il désirait, des lions aux yeux mauves et aux crinières d'argent... et avec une telle épouse, Rhaegar aurait bien pu ne pas accorder plus d'un coup d'oeil à Lyanna Stark. La Nordienne avait une beauté sauvage, dans son souvenir, mais, aussi fort que flambât une torche, jamais elle ne pourrait rivaliser avec le soleil levant.

(Epilogue, tome 5 A Dance with Dragons)

 

 Le schéma de deux soeurs partageant le même "prince" (lorsqu'ils étaient enfants et jeunes adolescents, Petyr, avec Catelyn et Lysa, jouait à être le "Prince des Libellules" - surnom d'un des princes Targaryen) se retrouve suggéré pour lady Barbrey Ryswell-Dustin et Bettany Ryswell-Bolton à propos de Brandon Stark, le défunt frère aîné d'Eddard Stark et héritier de la suzeraineté du Nord : entre Barbrey et Bettany il ne semble pas qu'il y ait de rivalité, mais l'une a en partie élevé le fils de l'autre et l'a aimé comme son propre fils (j'ai prévu d'explorer le personnage de Barbrey Dustin dans un article consacré), situation en partie analogue à celle de Val et sa soeur Della, cette dernière étant morte en mettant au monde le fils de Mance Rayder - roi d'Au-delà du Mur - et Val restant sa seule parente; dans le cas de Val et l'enfant de Della, le schéma semble se complexifier avec un échange d'enfants qui implique une troisième femme, la sauvageonne Vère, ainsi que Jon Snow alors lord Commandant de la Garde de Nuit et "super Corneille" de ce fait (qui forme lui-même une sorte de couple avec Melisandre, la prêtresse-oiseau rouge de Stannis et ancienne prostituée sacrée - encore une histoire de "whores").

  Pour revenir à Lysa, avait proposé de prendre le petit Robinet chéri comme page et écuyer à Winterfell (comme Barbrey avait fait pour le fils de sa soeur), et c'est elle qui avait amené le barde Marillion aux Eyrié, ce dernier devenant le favori de Lysa et une sorte de second fils. La réaction de Lysa à la proposition de Catelyn avait été très vive :

 

 Comme [Catelyn] offrait d'emmener lord Robert à Winterfell et de l'y garder quelques années comme fils adoptif, osant arguer que la compagnie d'autres garçons lui serait bénéfique, Lysa était entrée en transes. "Essaie seulement de me voler mon bébé..., et je te préviens que, soeur ou pas, c'est par la Porte de la Lune que tu sortiras !" 

(Catelyn VIII, tome 1 A Game of Thrones)

 

 Justement, Lord Jon Arryn, le vieil époux de Lysa, essaya et eut un problème mortel, comme on l'apprend lorsque Lysa confesse l'avoir empoisonné. On constate d'ailleurs que lorsque Lysa accuse lord Arryn d'avoir voulu lui prendre Petyr, elle confond dans les faits Petyr et son fils Robert, car concernant Littlefinger, Jon Arryn a au contraire écouté son épouse et permis l'ascension sociale de notre oiseau moqueur jusqu'à l'introduire à la cour et au Conseil restreint pour y siéger en tant que Grand Argentier. Jon Arryn a donc au contraire contribué activement à rendre Petyr à Lysa. 

 

˜˜

 

 Si la joute entre Lysa et Sansa semble une danse mortelle qui les conduit au bord du précipice et où l'une des championnes perd son soulier, il me semble également significatif que Lysa ait gardé en mémoire un épisode de danse comme expression de sa rivalité malheureuse avec sa soeur Catelyn : 

 

 "Tu accompagnais lord Bracken et lord Nerbosc, peut-être, la fois où ils sont venus soumettre leur querelle à l'arbitrage de mon père ? Le chanteur de lord Bracken a joué pour nous, et Catelyn a dansé six danses avec Petyr, cette nuit-là, six, je les ai comptées ! (...)"

 

 On retrouve donc un couple que j'ai déjà évoqué dans l'article précédent, à propos du barral en voie de pétrification de Corneilla, que les Nerbosc accusent les Bracken d'avoir autrefois empoisonné, en ajoutant la possibilité qu'un Bracken du passé ait pu être l'amant d'une reine corbeau du passé. Les Bracken ayant pour blason un étalon, ce ne serait pas la première fois qu'un étalon plein de fougue se laisse monter et diriger par une femme adepte du vol, au hasard Khal Drogo le Seigneur du cheval et son épouse Daenerys Targaryen, chevaucheuse de dragon. 

 C'est sur ce fond de querelle qu'a lieu la danse. L'insistance du texte sur le chiffre six ne me semble pas uniquement le signe de la rancune très tenace de Lysa : ce chiffre apparaît en effet la première fois dès le prologue du tome 1 A Game of Thrones, il correspond au nombre d'Autres qui émergent des ombres de la forêt (plus exactement, il y a un premier Autre, suivi de cinq autres). Six, c'est aussi le nombre de "dieux" dans la prière aux Sept, qui omet sciemment l'Étranger, car l'Étranger n'est pas véritablement considéré comme un dieu mais comme la "personnification" de la mort; c'est le nombre de compagnons qui suivent Eddard Stark à la Tour de la joie pour retrouver sa soeur Lyanna, ainsi que le nombre de Gardes Royaux si on met à part le Lord Commandant (ser Barristan Selmy est d'ailleurs limogé à la fin du tome 1 A Game of Thrones et remplacé par Jaime alors prisonnier à Vivesaigues : dans les faits, la Garde Royale tourne donc à six pendant un bon moment, et chacun de ces six membres semble promis à la mort, jusqu'au recrutement de la version "ressuscitée" de Gregor Clegane, donc d'un authentique mort). Le chiffre en lui-même ne signifie pas grand-chose (sauf possiblement un clin d'oeil de GRRMartin au "chiffre de la Bête" inventé par la théologie médiévale et popularisé depuis), mais sa présence dans un contexte de danse permet de rapprocher cette danse d'un rituel magique, fait pour lier des êtres entre eux, ou des fantômes à des êtres vivants. Sous la tente de Khal Drogo, à la fin du tome 1 A Game of Thrones, la maegi Mirri Maz Duur danse avec les ombres des morts : 

 

 "Death was in that tent, Khaleesi."

"Only shadows," Ser Jorah husked, but Dany could hear the doubt in his voice. "I saw, maegi. I saw you, alone, dancing with the shadows."

 (Daenerys IX, tome 1 A Game of Thrones)

 

C'est même le chant de Mirri Maz Duur qui doit appeler et faire venir les ombres des morts : 

 

 "Once I begin to sing, no one must enter this tent. My song will wake powers old and dark. The dead will dance here this night. No living man must look on them."

 (Daenerys VIII, tome 1 A Game of Thrones)

 

 

 Le lien entre la danse et un rituel magique sera fait à un autre moment, de manière plus symbolique, lorsque Petyr demandera à Alayne Stone (ex-Sansa Stark) de danser avec Harrold Hardyng et de "le charmer, l'entraîner, l'ensorceler" (sic) : 

 

 Petyr put his arm around her. "So he is, but he is Robert's heir as well. Bringing Harry here was the first step in our plan, but now we need to keep him, and only you can do that. He has a weakness for a pretty face, and whose face is prettier than yours ? Charm him. Entrance him. Bewitch him."

(...)

 Ser Harrold looked confused. "Please. One dance."

Charm him. Entrance him. Bewitch him. "If you insist."

(Alayne I, tome 6 The Winds of Winter, Chapitre publié en preview sur le site officiel de GRRMartin)

 

 Lysa accuse en substance sa soeur Catelyn d'avoir ensorcelé Petyr, mais plus grave encore : de l'avoir ensorcelé alors qu'elle ne comptait pas le payer de retour et en conséquence d'avoir commis un double vol, en dérobant sa dignité et sa liberté à Petyr, et son amour à Lysa. Je précise cependant que Lysa n'accuse pas Catelyn de sorcellerie véritable, mais dans les faits, le résultat est le même. 

 Enfin, l'association du chant, de la danse et d'un rituel magique lié à la convocation d'ombres de morts suggère qu'il faille aller chercher de ce côté la création des Autres et que cette dernière serait liée à une rivalité entre la reine corbeau et une autre femme (soeur ? Fille ? Belle-fille ? Fils ?). L'histoire de Lysa laisse penser que cette création ne serait pas le fait de la reine corbeau, ce qui finalement irait dans le sens d'une "méchante" reine commettant des crimes sans être non plus coupable de tous. Je ne trancherai cependant pas ici, car ce n'est pas l'objet.

 Si Sansa a a priori le dessous dans cette lutte, sa manière de combattre Lysa ressemble à celle de Bronn contre ser Vardis Egen, dans le jardin des Eyrie, lors du procès de Tyrion : Bronn laissait ser Vardis s'épuiser en coups puissants, en poussant quelques rares bottes toujours efficaces, jusqu'à la chute de la statue de la reine Alyssa, poussée par Bronn (mais préalablement frappée et déséquilibrée par Vardis). En bref, ser Vardis avait été cause de sa propre mort, comme Lysa le sera de la sienne à force d'avoir trop parlé. 



05/04/2017
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 34 autres membres