Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Le ravissement d'Arya

 

 

 

Une fois coincée sous le porche, elle s'était vue perdue, Yoren allait la tuer; il l'avait seulement tenue ferme, et avec son poignard l'avait sévèrement débroussaillée. Elle revoyait la brise folâtrer parmi de pleines poignées de tignasse brune et s'en jouer sur le pavé, les emporter, là-bas, vers le septuaire où Père venait de périr.[...]

De Port-Real jusqu'à Winterfell, dit-il ensuite, elle serait Arry l'orphelin. 

(Arya I, tome 2 A Clash of Kings)

 

 Fuyant le Donjon Rouge, les chevaliers de la Garde Blanche et Manteaux d'Or royaux envoyés à sa recherche, à la chute de son père, Arya s'est cachée dans la ville de Port Real, où elle a perdu argent, habits et bijoux qui la rattachaient à la maison Stark. Elle n'a conservé qu'Aiguille, sa petite épée pointue offerte par Jon Snow et forgée exprès pour elle à Winterfell.

 Ignorant tout ce qui a pu se passer au Donjon Rouge depuis sa fuite, Arya assiste avec la foule d'anonymes à la comparution de son père sur le parvis du Septuaire de Baelor (équivalent d'une cathédrale), à son parjure devant les dieux et les hommes lorsqu'il s'avoue pour traître, et à son exécution sur ordre du roi Joffrey. 

 Yoren, qui l'a reconnue alors qu'il était lui aussi dans la foule (il l'a vue au Donjon Rouge, à l'occasion d'une audience privée avec Eddard Stark, quand celui-ci était encore Main du roi), la saisit au moment de l'exécution pour l'empêcher de se précipiter à la défense de son père, lui cache les yeux afin qu'elle ne voit pas, puis l'emmène à l'écart et la transforme en Arry l'orphelin. C'est de cela dont Arya se rappelle dans le tout premier chapitre qui lui est consacré, dans le 2e tome, et que j'ai précédemment cité. 

 

 La transformation et le recrutement - déguisement destiné à la tenir cachée - est une véritable mort symbolique : les cheveux coupés d'Arya ont été emmenés par le vent jusque sur le lieu où Eddard Stark a été exécuté, et on peut ainsi dire qu'Arya Stark est morte en même temps que son père.

En tous les cas, dans l'immédiat, c'est suffisamment efficace pour permettre à la petite fille de sortir de Port Real incognito.

 

 Mais Yoren ne se contente pas de "tuer" Arya Stark en apposant sa marque dessus, de manière physique visible, par les cloques à la tête dont elle écope suite à cette nouvelle coupe à l'arrache, il accompagne cela d'un mot, un nouveau nom, soit une nouvelle identité, pour Arya. A la décapitation d'Eddard correspond la coupe des cheveux d'Arya, l'amputation de son nom Stark et sa "castration" par une transformation en garçon. Je sais, les filles ont une zézette qu'on ne peut pas couper comme le zizi des garçons, mais je considère ici que le changement de sexe opéré pour Arya est l'équivalent d'une castration pour les personnages masculins "transformés" en fille : c'est une diminution mal vécue, dont le désagrément sera illustré par toutes les stratégies mises en oeuvre par Arya pour éviter de montrer ce qu'elle est : refus du bain quand elle rêve de se laver, contrainte de la vessie pour ne se soulager que pendant la nuit, en s'éloignant du campement, quand tout le monde dort, etc...

 Pour entériner ce changement d'identité et l'intégration au groupe, Arya gagne ensuite le surnom de Tête-à-cloques par Lommy-Mains-vertes, un des orphelins recrutés par Yoren pour entrer dans la Garde.

Ce même premier chapitre d'Arya se clôt sur deux nouvelles évocations de la mort d'Eddard Stark : d'abord Yoren, qui explique à la fillette : 

 

- Y'a un truc qu'tu sais pas. Ca d'vait pas s'passer comme ça. J'allais partir, tout réglé, les fourgons chargés, et un homme m'amène un gosse, et un' bourse, 'vec du pognon d'dans, et un message qu'on s'fout d'qui. "Lord Eddard va prend' l'noir, qu'y m'dit, t'attends, y t'accompagnera." Pourquoi tu crois qu'j'étais là sinon ? Seul'ment, quéqu'chose a foiré dans l'truc."

- Joffrey, souffla-t-elle, on devrait le tuer ! 

- Quelqu'un le f'ra, mais ça s'ra pas moi, ni toi. 

(Arya I, tome 2 A Clash Of Kings)

 

En effet, Eddard Stark devait prendre le noir, donc suivre Yoren, mais il en a été empêché par Joffrey ordonnant à ser Ilyn Payne - Justice du Roi - de frapper avec Glace, la propre épée d'Eddard (et épée familiale des seigneurs Stark). Dans le passage qui suit immédiatement l'explication de Yoren, Arya va se coucher et contemple une comète rouge apparue dans le ciel : c'est la première fois qu'on la voit dans les chapitres d'Arya, mais elle apparait dès la fin du premier tome, aperçue la première fois, à l'est, à la lunette astronomique par Bran Stark, petit frère d'Arya, le jour où un corbeau rapporte à Winterfell la nouvelle de l'exécution d'Eddard Stark. La comète se voit attribuer beaucoup de significations, en fonction des personnages, mais ce qui nous importe ici, c'est qu'Arya la rapproche explicitement de Glace ensanglantée du sang de son père : elle en fait une messagère de mort. 

 

Taureau la nommait "l'Epée rouge", eu égard, jurait-il, à sa ressemblance avec une lame encore incandescente. Mais lorsqu'Arya eut suffisamment louché dessus pour y voir aussi une épée, ce n'est pas une épée nouvelle qu'elle vit là, mais Glace, la grande épée de Père, toute d'acier valyrien moiré, Glace rougie de sang, après que sir Ilyn, la Justice du Roi, l'avait utilisée pour perpétrer le meurtre. Yoren avait eu beau l'obliger à regarder ailleurs au moment de l'exécution, Arya ne pouvait s'en défendre, Glace avait dû, après, ressembler à cette comète. 

 (Arya I, tome 2 A Clash Of Kings)

 

 Pour ne pas nous emballer sur l'interprétation d'une justice royale assimilée au meurtre, je noterai que le texte original ne comporte pas de jugement moral : il parle de la "tête tranchée" et non pas du meurtre, même si en suivant les pensées d'Arya, nous savons comment elle considère cette justice-là. 

 En l'occurrence, c'est vraiment Joffrey s'accaparant le droit de vie et de mort sur ses sujets qui ravit Eddard à Yoren, puisqu'Eddard était promis à la Garde de Nuit, et il y a bien là une transgression, un sacrilège, redoublé par le fait que Joffrey n'est pas le véritable héritier du roi Robert Baratheon, étant issu de l'inceste de la reine Cersei avec son frère Jaime. Joffrey faisant exécuter la justice royale avec Glace est un usurpateur sur tous les plans. 

 En outre, la mise à mort de la Main déchue est très probablement une vengeance de Joffrey, qui, pendant le long trajet de la famille royale emmenant Eddard Stark et ses filles à Port Real, s'était vu privé de son épée Dent de Lion par Arya Stark (elle l'avait balancée à la rivière), à la suite d'une altercation durant laquelle il s'exerçait à une justice très personnelle sans en avoir le droit, puisqu'il n'était ni roi, ni seigneur souverain. Ta fille m'a coupé les crocs ? Tiens, voilà pour ta pomme ! 

 

 Mais revenons au périple d'Arya vers le Mur avec Yoren.

 Juste après avoir contemplé cette comète "splendide et terrifiante", la petite s'endort et rêve de "la maison" (sic) et surtout du suprême bonheur pour elle : atteindre le Mur avant Winterfell, pour y retrouver Jon Snow, son frère préféré. Un rêve aussi inaccessible que la "porte rouge" représentant la maison de son enfance pour Daenerys Targaryen. Le rêve d'Arya conclut le chapitre : 

 

Lorsqu'elle s'endormit enfin, elle rêva de la maison. La Route royale passait par Winterfell, et de là jusqu'au Mur, et Yoren avait promis de la laisser là-bas sans que personne n'apprenne qui elle était. Elle aspirait à revoir sa mère, et Robb et Bran et Rickon... mais c'était à Jon Snow qu'elle pensait le plus fort. D'une certaine manière, elle espérait qu'ils pourraient atteindre le Mur avant Winterfell, ainsi Jon pourrait ébouriffer ses cheveux et l'appeler "petite soeur". Alors elle lui dirait "tu m'as manqué", et il dirait la même chose exactement en même temps, selon leur habitude de dire toujours les choses d'une seule voix. Comme elle aimerait ça. Elle aimerait ça plus que tout au monde.

(Arya I, tome 2 A Clash Of Kings)

 

 De fait, Yoren emmènera bien la troupe et Arya à un mur métaphorique, et Arya rejoindra bien ensuite Harrenhal, un château qui par bien des aspects rappellera Winterfell dans une version horrifique. A moins qu'il ne s'agisse du véritable visage de Winterfell, celui que les Stark s'efforcent de cacher au fil des générations, probablement d'ailleurs sans savoir ce qu'ils gardent caché, sauf après la mort, lorsque leurs os rejoignent la terre dans leur crypte. Arya aura également pour compagnon un certain Gendry qui lui rappellera Jon Snow par la complicité qu'elle développera avec lui.

 Le Mur réel, cependant, ils ne vont jamais l'atteindre, non plus que Winterfell : tous vont rester dans le Conflans, le champ de bataille géant de la saga, lieu de carrefour des destinées et limbes de Westeros. Les "dieux" exaucent toujours les souhaits des vivants. Mais à leur propre manière ! 

 Ce sont donc les premiers éléments qui font de Yoren un passeur d'âmes du monde des vivants au monde des morts, sous l'égide d'une comète rouge sang. Et il n'y a qu'Arya, encore pleine d'illusions, pour rêver que le Mur, c'est la vie.

 

 

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20/04/2016
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