Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Terminus, tout le monde descend !

 

 

 Après ce détour, donc, ils parviennent à leur premier lieu de mort et de massacre : un village dont ils ont vu l'incendie au loin dans la nuit. Le feu, c'est la marque d'Amory Lorch, un chevalier lige de Tywin Lannister connu pour le massacre à dizaines de coups de poignard de la petite Rhaenys Targaryen (fille de Rhaegar), 3 ou 4 ans. C'est un boucher et son blason représente une manticore, animal chimérique à tête d'homme, corps de lion et queue de scorpion du bestiaire valyrien, mais dont une version petite et volante existe en vrai dans la saga : c'est un genre de scorpion ailé à tête quasi humaine et à la piqûre mortelle. On en trouve uniquement en Essos. 

Dans ce village brûlé, Yoren trouve et ramène comme seuls survivants une petite fille d'un ou deux ans qui ne parle pas encore, et une jeune femme qui mourra la nuit suivante : aucune des deux ne peut entrer dans la Garde de Nuit, qui n'accepte que les hommes, mais il illustre là une partie du serment du frère juré, qui est de défendre les royaumes humains.

Par ailleurs, la présence de corneilles ("crows") qui mangent les cadavres et l'incendie au loin qui illumine la nuit sonnent comme une métaphore de leur arrivée à destination, l'incendie figurant "le feu qui flambe contre le froid" et "la lumière qui rallume l'aube" du serment des frères jurés.

 

Dans le chapitre suivant d'Arya (Arya IV, tome 2 A Clash Of Kings), la troupe arrive au sud du lac l'Oeil-Dieu, sur ses berges, dans un nouveau village avec une tour fortifiée, entièrement déserté. Au nord du lac, c'est Harrenhal. Au milieu, se trouve l'île aux faces, une île pleine de barrals aux faces sculptées qui constitue le centre sacré du culte des anciens dieux. Le lac occupe une position centrale sur Westeros. Le lien entre les barrals et la mémoire des morts retournés à la terre fait de cette île une véritable entrée vers le royaume des morts, et prendre le bateau pour traverser le lac serait un passage du Styx, le fleuve qui marque la frontière entre monde des vivants et monde des morts, et qui se situe dans les limbes.

Bien sûr, Yoren cherche à faire traverser le lac à ses ouailles, mais il n'y a pas de bateau. Le passeur ne peut donc pas mener ses âmes à destination... au véritable Mur et à Châteaunoir. Il va donc s'y prendre autrement, en se réfugiant dans le petit fort en pierre de la ville fantôme où ils sont arrivés. 

 

La ville était aussi noire qu'une forêt lorsque reparurent Yoren et les autres.

(...)

- On peut coucher à l'auberge ? demanda Lommy.

- On couch'ra dans l'fort, et les port' barrées, mêm', répondit le vieux. J'aim' bien sentir des murs d'pierre autour d'moi quand j'dors.

(Arya IV, tome 2 A Clash Of Kings)

 

La parenté avec Châteaunoir et le mur se fait à la faveur de la nuit, quand tous les chats sont gris, que "les bannières [sont] noires "(sic), et que les lieux se confondent les uns avec les autres. Hors des murs du petit fort, nous trouvons la ville métamorphosée en forêt, comme au-delà du Mur se trouve la forêt hantée, peuplée de sauvageons et de créatures de légendes plus monstrueuses et effrayantes les unes que les autres. Et justement, avant son tour de veille, Arya est réveillée par des hurlements de loups, mais ce sont les cavaliers d'Amory Lorch - la Manticore - qui envahissent la ville et l'incendient. On retrouve encore dans cette très courte péripétie plusieurs degrés de lecture comme GRRMartin aime nous en offrir : on ne sait pas très bien si Arya a rêvé ces hurlements de loups, car elle semble la seule à les avoir entendus; Ses rêves de loups deviendront habituels et constituent le premier signe de sa "zomanie" (la capacité à se glisser dans la peau d'un autre animal, et pour les enfants Stark, ce sont en particulier des loups géants que chacun d'eux a reçu et avec lesquels ils ont créé un véritable lien), mais il nous suggère là que le lien entre Arya et sa louve Nymeria n'a pas été rompu et que la louve géante qui erre dans le Conflans exerce une véritable protection envers elle ou plutôt a reconnu sa semblable. Cela prolonge l'histoire de la louve géante "chienne des 7 Enfers" dont l'aubergiste a causé pendant leur halte à l'auberge (avant d'entrer sur le territoire de la mort); cela prolonge aussi la rencontre faite par Arya avec de vrais loups, alors qu'elle allait faire pipi en s'éloignant du campement, à la fin du chapitre Arya III, tome 2 A Clash Of Kings : les loups, au lieu de l'attaquer, l'ont regardée et se sont éloignés, alors qu'elle était morte de peur. Elle en a parlé à Yoren, qui lui a répondu qu'ici, les animaux sauvages étaient moins à craindre que les hommes. 

Donc, en plus de rappeler le lien d'Arya Stark avec les loups, les hurlements qui la réveillent soulignent la sauvagerie du monde nocturne hors du fort : ils suggèrent par des faits concrets, et pas seulement par une illusion d'optique due à l'obscurité, la métamorphose de la ville fantôme en forêt hantée : symboliquement, les murs du fort sont alors devenus le Mur. Et en effet, juste après le hurlement, les hommes d'Amory Lorch arrivent et attaquent. 

 J'ai relié le fort à Châteaunoir, mais il serait plus juste de le relier à Fort Nox, ancien siège du commandement de la Garde de Nuit, abandonné depuis deux cents ans, mais qu'on visite grâce à Bran Stark (le petit frère d'Arya) dans le tome suivant (A Storm Of Swords). Tous les deux sont vides et abandonnés; pour chacun d'eux, le frère et la soeur ont peur et rechignent à y passer la nuit, et tous les deux en sortiront par un passage secret souterrain qui les mènera pour Fort Nox de l'autre côté du Mur, et pour le petit fort hors de la ville, près du lac de l'Oeil Dieu. Dans la grange du petit fort se trouve en effet une trappe ouvrant sur un passage souterrain étroit et sinueux qui débouche au bord du lac. A Fort Nox, c'est le grand puits des cuisines qui mène à la "porte noire", une porte magique en bois de barral qui s'ouvre seulement quand un frère juré lui donne le mot de passe (le serment de la Garde de Nuit). 

On peut établir un lien supplémentaire avec le Poing des Premiers Hommes, une ancienne forteresse construite en pleine "forêt hantée", au delà du Mur, et où l'expédition de la Garde de Nuit conduite par le lord Commandant Mormont va se trouver assaillie et décimée par des hordes de morts vivants. Peu en réchapperont, dont Samwell Tarly (oui, oui, encore lui !)

 

Outre le cadre qui transporte les recrues de Yoren directement au Mur, celles-ci vont avoir l'occasion de tenir en actes le serment de la Garde de Nuit. 

 

 "La nuit se regroupe, et voici que débute ma garde. Jusqu’à ma mort, je la monterai. Je ne prendrai femme, ne tiendrai terre, n’engendrerai. Je ne porterai de couronne, n’acquerrai de gloire. Je vivrai et mourrai à mon poste."

 

 

 Notons que la seule femme qui s'est trouvée parmi eux est morte quelques heures après son arrivée, suite a ses blessures graves. D'une certaine manière, notre Yoren a assuré le repos de son âme en prenant en charge ses dernières heures, et en l'intégrant au convoi pour la mener de la vie à la mort.  

Une fois dans le fort, Yoren distribue les tâches, la préparation de la cuisine et les tours de garde, comme au mur (et même pour une Arya Stark, une petite lady, qui pour mieux cacher son identité doit jouer le jeu jusqu'au bout de l'orphelin Arry) :

 

Il divisa son monde en trois tours de veille et envoya Tarber, Kurz et Cutjack au manoir abandonné épier d'un peu plus haut les alentours. En cas de menace, Kurz utiliserait son cor de chasse pour donner l'alerte. 

(Arya IV, tome 2 A Clash Of Kings)

 

En attendant, Arya est de l'équipe cuisine et Yoren, se pensant à l'abri, autorise à faire un feu pour l'occasion.  

 

Je suis l’épée dans les ténèbres. Je suis le veilleur aux remparts. Je suis le feu qui flambe contre le froid, la lumière qui rallume l’aube, le cor qui secoue les dormeurs, le bouclier protecteur des royaumes humains. Je voue mon existence et mon honneur à la Garde de Nuit, je les lui voue pour cette nuit-ci comme pour toutes les nuits à venir.

 

  Mais ce feu peut aussi avoir une autre signification : le signal que le terme est proche et qu'il n'y a plus d'échappatoire. À la fin du même tome, alors qu'avec Jon Snow il est traqué par les Sauvageons dans les Crocs-givre (des montagnes très loin au nord du Mur), le patrouilleur de la garde Qhorin Mimain autorisera lui aussi à faire du feu, mais parce qu'il sait que c'est son dernier et que les Sauvageons les attraperont quelques heures plus tard. Et de fait, Qhorin Mimain mourra à l'issu de la rencontre. 

 Après le repas, Arya ne trouvant pas le sommeil aiguise sa petite épée Aiguille. 

Les hommes de la troupe portent l'épée, la pique ou n'importe quel objet qui ressemble à une arme; ils veillent aux remparts; après le hurlement de loup qui a réveillé notre héroïne, le cor sonne;  il y a l'incendie allumé par les cavaliers d'Amory Lorch. Au lieu d'être au loin, comme dans le chapitre précédent, il est maintenant sous leur nez, de l'autre côté du Mur, avant de passer ce mur et de venir les brûler eux aussi, lorsque l'assaut est donné. 

Quand tout est perdu, Yoren attrape Arya : 

 

"Gars ! gueulait-il du ton dont il le gueulait toujours, zou ! Mon gars ! c'est foutu, n'a perdu ! Rassemb' tous ceux qu'tu peux, toi, lui et les aut', les gosses, et zou, filez ! Main'nant ! 

- Mais comment ? demanda-t-elle

- C'te trapp' ! hurla-t-il. S'la grang' !"

(Arya IV, tome 2 A Clash Of Kings)

 

 On retrouve les mêmes ordres dans la bouche du lord Commandant Mormont, ordonnant à ses hommes de rassembler les survivants et de faire une percée pour fuir, lors de la bataille au Poing des Premiers Hommes. 

 Ainsi, Yoren et la plupart des autres font rempart de leur corps, défendant l'humanité contre les démons infernaux conduits par ser Amory Lorch, le chevalier à la manticore, en leur donnant le temps de fuir. L'humanité représentée ici par les enfants, en particulier la "petite chialeuse", la fillette presque encore un bébé qu'ils ont retrouvée dans le précédent village. La fuite comporte une dernière épreuve : la grange où se situe la trappe étant la proie des flammes, c'est un rideau de feu qu'ils doivent franchir.

Se situe là un autre épisode très lourd de conséquences pour Arya et pour le Conflans : dans la grange, se trouve le fourgon avec les trois prisonniers dangereux, le "monstre à trois têtes" enchaîné. Ils supplient pour leur délivrance, et c'est Arya qui répugne à voir mourir des hommes - aussi monstrueux soient-ils - sans possibilité de défense, qui ressort de la grange à la recherche d'une hache et qui revient la leur jeter. Ce faisant, elle permet leur libération; autrement dit, elle lâche ses propres monstres sur le Conflans, mais peut-être aussi sur Yoren, puisque lorsqu'ils retrouveront le lendemain le corps de Yoren, les survivants du massacre constateront que c'est un coup de hache à la tête qui l'aura tué. 

 

Les actes ayant valeur de mots, Yoren a bien conduit sa troupe au Mur, c'est-à-dire à la mort. Sauf quelques rescapés... qui ne pourront plus sortir du Conflans, métaphore du royaume des Morts. 

Ajoutons que pendant qu'Arya cherche la hache, elle ne trouve plus Yoren qui semble s'être volatilisé. Symboliquement, sa mission accomplie, il disparait, peut-être parce qu'on ne peut pas tuer la Mort. Peut-être parce que "ce qui est mort ne saurait mourir", comme le proclame un proverbe religieux des Îles de Fer.

 A moins que, comme Charon, Yoren ait été puni par les dieux pour avoir laissé entrer des mortels aux Enfers, et qu'on lui ait retiré son office de passeur. En effet, on peut lire aussi le sauvetage/enlèvement d'Arya comme un sacrilège : en la faisant entrer vivante dans le monde des morts, et en lui promettant de l'en ressortir (il est censé la déposer à Winterfell avant d'atteindre le Mur), il transgresse des lois divines de séparation nette des mondes des morts et des vivants.

Ainsi, dans le monde des morts Yoren se volatilise, et dans celui des vivants - c'est dans le chapitre suivant d'Arya (Arya V, tome 2 A Clash of Kings) - en revenant à la faveur du jour dans le petit fort maintenant déserté, les quelques rescapés trouveront le corps de Yoren pour l'enterrer. Il n'aura cependant pas droit à l'oraison funèbre réservée aux Frères Noirs sur l'achèvement de leur garde. 

 

 Il y a un dernier point à relever avant de passer à la conclusion : le feu est certes la marque d'Amory Lorch, mais ce chevalier arborant la Manticore s'apparente de ce fait au Dragon valyrien. Or, le feu est ce qui vient à bout des morts qui marchent, et le verredragon ("dragonglass" en vo) tue les Autres. L'attaque du fort ressemble donc curieusement à des héros qui attaqueraient de dongereux Autres et morts qui marchent, incarnés ici par Yoren et sa troupe pleine de spectres et fantômes symboliques, et de bêtes échappées du monde infernal. Voilà qui brouille quelque peu nos repères en matière de bien et de mal et nous invite à nous demander si la Garde de Nuit et ses Corneilles sont véritablement dévolues à la défense des royaumes humains et s'il n'y a pas un mensonge ou tout au moins une demie vérité sur leur origine. 

 

 

Article suivant

 

 

 

Retour à l’index

 



21/04/2016
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 34 autres membres