Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Ces étoiles qui ne veulent pas mourir - Conclusion

 

 

 

 Est-ce un hasard si GRRMartin a choisi pour son "meilleur chevalier du monde" le nom d'Arthur, directement tiré de la légende arthurienne ? On ne retrouve jamais le corps d'Ashara, et l'épée d'Arthur revient au bord de la mer, dans la forteresse des Météores, ce qui rappelle une imagerie liée à l'épée du roi Arthur, Excalibur, qui dans le film de Boorman est lancée par Perceval et retombe dans la mer, tandis qu'on voit au loin le corps d'Arthur s'éloigner à bord d'une barque sur laquelle trois silhouettes féminines se tiennent. Si le roi Arthur ne meurt pas à l'écran ou dans les livres, c'est parce qu'on désire son retour (en plus du fait qu'il y a toujours un certain deuil à faire lorsqu'on arrive à la fin d'une histoire) : on veut que l'histoire se prolonge, plus encore qu'on ne désire un âge d'or plus fantasmé que réel. Arthur et Ashara Dayne jouent pleinement sur cette référence du héros qui ne meurt pas, parce qu'on ne veut pas qu'une bonne histoire se finisse un jour, et parce que les prophéties annoncent toujours le retour du héros sauveur. Ils en jouent également comme référence interne à la saga, elle-même pleine de héros qui ne veulent pas mourir, à la fois au sens figuré, comme Azor Ahaï qui doit revenir parmi les vivants ou le Dernier Héros dont on ne connaît pas la fin, et au sens propre comme Beric Dondarrion - le "Seigneur la Foudre" - qui est magiquement ressuscité, ou Catelyn qui réapparaît sous la forme de Lady Coeurdepierre. Sans parler du jeune Griff qui fait son apparition dans le tome 5 A Dance with Dragons et prétend qu'il est le fils de Rhaegar Targaryen et Elia Martell miraculeusement échappé au massacre de sa famille. Dès lors, il ne faut pas s'étonner de voir s'exprimer chez les fans le très fort désir de retour de figures héroïques. 

 Cependant, dans la saga, ce n'est pas Arthur Dayne le roi ou le prince, c'est Rhaegar, qui reprend quant à lui en partie les thèmes littéraires développés à travers le personnage de Lancelot du Lac, meilleur ami d'Arthur. Rhaegar poursuivant l'accomplissement de la prophétie du "prince promis" avait d'ailleurs un jour trouvé qu'il devrait être un guerrier, et un guerrier excellent. Dans la légende arthurienne et graalienne, Lancelot est le descendant du légendaire Joseph d'Arimathie, celui qui aurait recueilli le sang du Christ dans le graal et l'aurait ramené en Angleterre. Il est aussi le père de Galaad, le véritable chevalier parfait qui trouvera le graal (et en mourra). La référence est également présente dans le nom choisi pour la "Tour de la Joie" : en effet, c'est dans "l'Île de la Joie" que Lancelot chassé de la cour royale vivra quelque temps avec Elaine et son fils Galaad, après un épisode d'errance et de folie (et une blessure presque mortelle reçue lors d'une chasse au sanglier...). De là, deux chevaliers de la Table ronde partis à sa recherche le trouveront et le ramèneront au "monde", à savoir à la cour d'Arthur. 

 Enfin, si Ashara avait bien couché à Harrenhal avec Rhaegar et en avait bien conçu un enfant, on pourrait alors constater que la forge d'Illumination aurait été rejouée par Rhaegar, parce qu'il aurait connu trois femmes successivement - Élia, Ashara et Lyanna - et que la dernière en date - la seule morte en couches - serait aussi celle qui aurait donné naissance à cette fameuse Illumination, aka Jon Snow : 

 

 It was a time when darkness lay heavy on the world. To oppose it, the hero must have a hero's blade, oh, like none that had ever been. And so for thirty days and thirty nights Azor Ahai labored sleepless in the temple, forging a blade in the sacred fires. Heat and hammer and fold, heat and hammer and fold, oh, yes, until the sword was done. Yet when he plunged it into water to temper the steel it burst asunder.

 

 

 

 En tous les cas, Rhaegar, en se liant avec les Dayne puis en emmenant Lyanna enceinte dans le sud, vers Dorne, voulait peut-être faire de l'enfant à naître un Dayne et le faire élever spécifiquement par l'Epée du Matin. Pour tenir Aube et devenir le "Prince promis" de la prophétie ? Arthur et Ashara ont-ils été "maudits" ? Leurs "fautes" ont-elles fait perdre aux Dayne le privilège de garder Illumination, l'épée des héros qui ramène l'aube ? Je ne saurais répondre à ces questions, mais je vais là encore me servir de la référence littéraire de Lancelot : celui-ci a perdu son droit à trouver et voir à l'intérieur du graal lorsqu'il a perdu sa virginité - d'abord avec Elaine, la fille vierge du roi Pellès, puis avec la reine Guenièvre. White, qui le traite en partie sur le mode humoristique dans The once and future King (et dont GRRMartin a déjà rappelé l'influence sur sa propre oeuvre), fait dire trivialement à son Lancelot qu'il a perdu son pouvoir magique, celui de faire des miracles et d'être le meilleur chevalier du monde. Évidemment, ce n'est que la croyance de Lancelot, qui finalement trahit au cours de sa vie plusieurs personnes : son roi et ami Arthur, sa reine et amante Guenièvre, puis la mère de son fils Elaine, et son fils Galaad. Arthur, lui, perd son épée, son royaume et sa vie à cause de l'inceste commis avec sa demi-soeur Morgane (ou Morgause), dont il aura Mordred. 

 Chez GRRMartin, les dieux - s'ils existent - et les prophéties - si elles sont vraies - n'en font qu'à leur tête, et leur humour est aussi cruel qu'une vengeance humaine. Je pense pour ma part que si notre auteur semble laisser l'ambiguïté pleine et entière, il sait parfaitement orchestrer l'irruption du hasard et le détournement dans les beaux plans montés par ses personnages, rendant les hommes maîtres de leurs histoires présentes par les choix auxquels ils sont confrontés à tous les instants de leur vie, mais que le futur leur échappe sans cesse.  

 De même, l'emprise des hommes sur la magie n'est qu'imparfaite, pour ne pas dire nulle : ils peuvent pratiquer des rituels et autres incantations, le résultat immédiat peut être probant, mais les conséquences ultérieures leurs restent imprévisibles, comme l'exprime si bien le maître armurier de Port Real auquel Tywin Lannister a commandé de forger deux nouvelles épées Lannister à partir de la grande épée familiale des Stark, Glace :

 

"Ni moi, messire, dit l'armurier. Je l'avoue, ces coloris ne sont pas ceux que j'escomptais, et je ne saurais comment m'y prendre pour les reproduire. Messire votre père ayant réclamé l'écarlate de votre maison, c'est elle que j'avais introduite dans le métal. Mais l'acier valyrien n'en fait qu'à sa tête. Ces vieilles épées se souviennent, dit-on, et ne se ravisent pas aisément. J'ai eu beau recourir à une cinquantaine d'incantations et raviver le rouge une fois et une autre, toujours la nuance s'assombrissait, comme si la lame en éteignait la luminosité. Et certains des plis refusaient absolument de se colorer, ainsi que vous le constatez vous-même. Si le résultat n'était point au gré de messires Lannister, je tâcherais naturellement de le rectifier autant de fois qu'ils l'exigeraient, mais..."

(Tyrion IV, tome 3 A Storm of Swords)

 

Ainsi Rhaegar est mort, ses enfants légitimes également, et Aube est retournée dormir aux Météores.

Mais le sacrifice d'Arthur et Ashara Dayne a reproduit littéralement la légende d'Aube : ils sont devenus l'étoile du coeur de laquelle a été extraite la matière brute pour forger une nouvelle Épée du Matin, Jon Snow. Dans la prophétie d'Azor Ahaï, Illumination est à nouveau brandie lorsque "saignent les étoiles" : 

 

"In ancient books of Asshai it is written that there will come a day after a long summer when the stars bleed and the cold breath of darkness falls heavy on the world. In this dread hour a warrior shall draw from the fire a burning sword. And that sword shall be Lightbringer, the Red Sword of Heroes, and he who clasps it shall be Azor Ahai come again, and the darkness shall flee before him." 

(Davos I, tome 2 A Clash of Kings)

 

On pourrait se demander d'ailleurs si Jon Snow n'accomplit pas là, en conclusion d'un long cycle ouvert avec la Longue Nuit, le chemin inverse de la première Illumination, brandie autrefois au Nord contre les Ténèbres, puis emmenée pour une raison mystérieuse et "cachée" au sud. Dayne joue dans ses sonorités avec "dawn", le mot anglais qui signifie "aube". L'antique "Illumination" aurait-elle pu être volée ? A tout le moins, Aube fut-elle un jour une épée royale ? Un roi est-il tombé avant que ne commence la Longue Nuit ? Westeros attend-il donc depuis des millénaires le retour de son véritable roi, qui chassera la bande d'usurpateurs qui se déchirent sans trève pour obtenir des morceaux de son empire ? ... ou ne serait-ce pas plutôt sa mort définitive ?   

 

 À la Tour de la Joie, tout s'achève pour les Dayne, pour l'aube, et tout commence pour Jon Snow, dragon glacé de la nuit et de l'hiver. Si la Longue Nuit est bien le résultat d'une vieille malédiction cachée des Stark - comme le laisse supposer la transfiguration des compagnons d'Eddard en ombres fantômatiques comme sont les Autres - tout va finir aussi pour les Stark de Winterfell. Et un nouveau cycle pourra commencer. Sans dragons, sans épées et sans magie. 

 

Il reste cependant à forger cette matière première qu'est Jon Snow, pour en faire Illumination, mais cela est une autre histoire.

 

 

 

 

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10/05/2016
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