Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

L'Epée du matin

 

 

 

 

 On ne peut pas nommer Arthur Dayne sans mentionner l'épée qu'il porte et à laquelle il doit son surnom d'Epée du Matin : Aube.

Aube est une épée de légende, propriété de la famille Dayne - vassaux de Dorne, à l'extrême sud de Westeros - depuis des millénaires. Elle a la particularité d'être d'une blancheur laiteuse, aussi légère, tranchante et solide que de l'acier valyrien, et on raconte que cette couleur lui vient de ce qu'elle aurait été forgée dans un morceau d'étoile tombé du ciel. Les Dayne en ont conservé le souvenir sur leur blason : une étoile filante et une épée, blanches et croisées sur fond violet pâle, comme un ciel d'aube.

Le souvenir de cette légende se perpétue également dans le nom de la forteresse des Dayne, "les Météores" - "Starfall", "étoile qui tombe" dans le texte original.

 

Il dégainait Aube et la saisissait à deux mains. Elle avait une pâleur laiteuse et la lumière l'animait des palpitations de la vie.

(Eddard X, tome 1 A Game of Thrones)

 

Puis [Arthur Dayne] lui avait administré une petite tape sur l'épaule avec Aube ; la lame pâle en était si acérée que, tout léger qu'avait été le contact, il avait suffi à déchirer la tunique et à faire à nouveau perler le sang de Jaime. 

(Jaime I, tome 4 A Feast for Crows)

 

La lame est si prestigieuse qu'elle donne son surnom au chevalier qui la porte : Épée du Matin, qui est aussi le nom d'une constellation dans le ciel de Westeros, dont l'étoile blanche au niveau de la poignée est particulièrement brillante. Elle est visible au sud, au-dessus de l'horizon, au moment où le soleil se lève. Non, elle n'indique pas la Mecque ni le lieu de naissance de Jésus, mais... le sud, là d'où vient l'Epée du Matin ! 

D'autre part, si Aube appartient à la maison Dayne, elle n'est pas comme la plupart des autres épées familiales connues, portée par le chef de famille, telle Glace pour les Stark, ou encore Corvenin pour les Tarly, ou Feunoyr pour les Targaryen (bien que cette dernière passe à une branche bâtarde qui lui empruntera son nom "Feunoyr", dévolution qui engendrera une longue succession de rébellions "feunoyr" contre la branche Targaryen légitime) : seul un chevalier issu de la maison Dayne et jugé digne de la porter peut y prétendre. Elle n'est pas une épée de justice et ne donne pas de pouvoir de commandement à son porteur : elle est simplement la marque d'une exceptionnelle valeur guerrière. C'est avant tout un héros, et non un roi qui la porte. 

Ainsi, bien que la famille Dayne remonte à une époque à peu près aussi lointaine que les Stark, on ne connait que trois "Épées du Matin". Ça ne signifie pas qu'il n'y en a eu que trois, mais au moins que chaque génération n'a pas la sienne. Et c'est encore un trait partagé avec la constellation, qui n'est pas visible toute l'année dans le ciel nocturne. 

 

Tous ces traits suffisent à en faire une épée d'exception, non pas qu'elle soit plus magique que les autres, mais sa charge symbolique est suffisamment forte pour que le lecteur la rapproche tout naturellement d'autres épées associées à des héros exceptionnels, que ce soit hors de la saga (citons Excalibur, Durandal, Gram, Joyeuse, Anduril, etc...) ou dans la saga elle-même, par exemple l'épée du Dernier Héros. Ce personnage sans nom a sa légende dans Westeros, puisque c'est grâce à lui que la Longue Nuit aurait pris fin. On ne sait pas trop s'il existe plusieurs variantes de son histoire, car dans le résumé qu'en fait Bran Stark, lors de sa longue quête des Enfants de la Forêt et de leur savoir, il perd un a un ses compagnons, jusqu'à briser son épée; et lorsque Samwell Tarly - après avoir fouillé dans l'immense bibliothèque de la Garde de Nuit - parle de cette légende à Jon Snow, il ne lui rapporte que ce qui intéresse Jon à ce moment, à savoir un moyen concret de détruire les Autres : 

 

- "Nous savions tout cela. La question qui se pose est : comment s’y prend-on pour les affronter ?

- (...) Je suis tombé sur une chronique consacrée à la Longue Nuit, et selon laquelle le dernier héros massacrait des Autres avec une lame en acierdragon. Il leur était censément impossible d’y résister.

- De l’acierdragon ?" Jon fronça les sourcils. "De l’acier valyrien ? (...)"

 (Samwell I, tome 4 A Feast for Crows)

 

 Il n'est pas possible de savoir si la version rapportée par Bran est le début de l'histoire, et celle trouvée par Sam la fin, dans laquelle le Dernier Héros aurait bien trouvé les Enfants de la forêt ainsi qu'une nouvelle épée propre à faire reculer l'hiver, le froid et les ténèbres; ou s'il s'agit de deux versions différentes de la même histoire, l'une appartenant à la tradition orale, et l'autre consignée par écrit et susceptible de tentatives d'historicisation et rationalisation de la part des rédacteurs. La mention "acierdragon" reste elle-même mystérieuse : Jon peut se tromper en pensant à l'acier valyrien, même si j'incline à croire qu'il n'est pas totalement dans les choux et qu'il y a bien un lien entre les deux, là où on ne l'attend pas forcément. 

 Mais de tout cela, retenons l'essentiel : le Dernier Héros avait une épée, et dans au moins une des versions, elle était assez spéciale pour détruire les Autres. Il se peut qu'il ait eu une première épée qui ce soit brisée, avant d'en trouver une nouvelle ou de reforger l'ancienne de manière à la rendre plus puissante. Ajoutons que la bataille qui a permis de libérer le monde des Autres a pris le nom de Bataille de l'Aube. 

 Remarquons au passage qu'Aube a une couleur blanche laiteuse qui siérait si parfaitement à Glace - l'épée des Stark - qu'on pourrait se demander si justement cette Aube n'était pas l'épée Glace originelle. Dès son premier chapitre, dans le tome 1 A Game of Thrones, Catelyn Stark nous apprend justement que l'épée noire en acier valyrien que portent les Stark n'est pas la Glace originelle, qui a été perdue, mais qu'elle en a repris le nom (pour le dire autrement, la Glace actuelle est bâtarde, dans les faits et la symbolique, renforcée ici par sa couleur noire, associée à la bâtardise dans la saga par "le sang noir de bâtard"). Pourquoi et comment serait-elle arrivée au sud dans ce cas ? Nous verrons si à la fin de l'article nous pouvons formuler une hypothèse viable. Question subsidiaire : la Glace originelle aurait-elle pu être l'épée du Dernier Héros ? 

 Cette épée du Dernier Héros n'est pourtant pas pour le moment l'objet d'une légende comme l'est Illumination, la lame d'Azor Ahai. Il semble qu'elle soit là parce qu'un héros a besoin d'une épée spéciale, comme une sorte de convention propre aux récits épiques, alors qu'Illumination existe pour elle-même et doit être méritée/trouvée par un héros digne d'elle, c'est-à-dire prêt à des sacrifices importants (on pourra cependant objecter que le Dernier Héros a justement sacrifié tous les êtres qui pouvaient lui être chers, comme ses amis, jusqu'à ses compagnons animaux et sa propre épée qui faisaient sa propre identité, comme Jon Snow se construit la sienne à Winterfell et à la Garde de Nuit en gagnant un loup albinos, des compagnons, puis l'épée Grandgriffe, dans le tome 1 A Game of Thrones ; mais l'histoire du Dernier Héros telle qu'on la connaît actuellement ne s'attarde pas sur son ou ses épées, alors que la forge d'Illumination est une légende en soi; cela changera peut-être dans la suite de la saga). 

 Illumination, ou en version originale "Lightbringer", "porte-lumière" (ceux qui ont envie de rire diront "Lucifer" !), qui rappelle évidemment l'aube annonçant la (re)naissance du jour, et qui a servi à Azor Ahai à repousser les Ténèbres. La légende d'Illumination raconte sa forge en trois temps, brisée à deux reprises, puis achevée par la mort de Nissa-Nissa, l'épouse chérie d'Azor Ahai, qui l'a trempée de son sang et lui a ainsi transmis sa propre force. 

 

 Azor Ahai et le Dernier Héros ayant autrefois tous deux repoussé une Longue Nuit, ils se confondent alors dans un même événement, et les lecteurs, comme les personnages qui auraient connaissance de ces deux histoires, sont invités à voir dans la Longue Nuit un événement universel, et dans ses héros la déclinaison d'un seul en fonction des cultures. L'épée étant elle-même unique. 

D'autre part, Azor Ahai - héros oriental - fait l'objet d'une prophétie annonçant son retour "dans le sel et la fumée" et "sous une étoile sanglante" pour combattre à nouveau les Ténèbres et l'Hiver, et il se trouve qu'une sorcière du Conflans (une naine albinos encore vivante dans la saga) a prophétisé que cet Azor Ahai - surnommé "Prince promis" dans l'entourage des Targaryen - serait issu de la lignée Targaryen, plus précisément de la descendance d'Aerys II et son épouse Rhaella. 

Rhaegar Targaryen, fils aîné d'Aerys, féru de lectures et de chansons, est né en pleine tragédie de Lestival. Lestival ("Summerhall" en anglais; notons en outre la symétrie entre "Winterfell" siège de l'hiver, et "Summerhall" siège de l'été) était une demeure royale des Targaryen située dans le sud de Westeros, qui a été détruite par un gigantesque incendie, au cours duquel sont morts beaucoup de membres de la famille royale et d'autres éminents personnages. Rhaegar a pris très au sérieux cette prophétie. Il a entretenu à son propos une correspondance régulière avec son arrière-grand-oncle, devenu mestre et engagé à la Garde de Nuit : 

 

 "Rhaegar, je pensais... La fumée était celle de l’incendie qui a ravagé Lestival le jour de sa naissance, le sel celui des larmes versées pour ceux qui avaient péri. Il partageait ma conviction quand il était jeune, mais ensuite il en vint à se persuader que c’était son fils qui accomplirait la prophétie, car on avait vu une comète au-dessus de Port-Réal la nuit où fut conçu Aegon, et Rhaegar était certain que l’étoile sanglante devait être une comète."

 (Mestre Aemon Targaryen à Samwell Tarly, Samwell V, tome 4 A Feast for Crows)

 

 A ce stade, il est fort tentant d'imaginer que Rhaegar - dont l'accomplissement de la prophétie du "Prince promis" a été la grande affaire - avait fait le rapprochement entre Aube - l'Épée du Matin - et Illumination, et avait peut-être eu dans l'idée de faire de son enfant le futur porteur d'Aube, puisqu'Azor Ahai avait vaincu les Ténèbres grâce à son épée magique, et qu'un héros se doit d'avoir une arme spéciale qui le distingue du commun des guerriers. A moins qu'un destin plus funeste ait attendu bébé Jon, sacrifié "pour le bien commun" et peut-être pour transformer Aube en Illumination, ou pour faire "renaître" un nouveau dragon - "la mort achetant la vie" et inversement. 

On trouverait là une explication au lien noué avec Arthur Dayne, au point que celui-ci ait participé à "l'enlèvement" de Lyanna depuis la première heure, jusqu'à rester auprès d'elle à la Tour de la Joie, pour son accouchement, au lieu de suivre Rhaegar à Port-Real et de défendre les enfants légitimes de son prince. La Tour de la Joie n'étant pas trop loin de Dorne et des Météores, on peut ainsi émettre l'hypothèse que le futur bébé devait y être emmené et élevé. Peut-être comme un Dayne. Peut-être en le faisant passer pour l'enfant d'Ashara Dayne. Nous sommes sur tous ces points (le projet de transmettre Aube au "Prince Promis" - Jon le bâtard ou Aegon le fils aîné légitime de Rhaegar - et/ou de sacrifier Jon) dans le domaine d'hypothèses raisonnables mais pas confirmées explicitement par le texte : ils ne sont pas absolument indispensables pour la suite de l'article, mais permettent d'éclairer davantage les velléités de Rhaegar, fanatique à sa manière, et d'étudier un peu plus loin comment se réalisent les prophéties chez GRRMartin. Pour le dire autrement, le symbolisme autour de Jon Snow, de l'Epée du Matin et du Prince promis autorise à prêter certaines intentions à Rhaegar, mais ne donne pas de certitudes à ce propos, car nous n'avons pas directement le point de vue de Rhaegar et nous ne l'aurons sans doute jamais dans la suite de l'oeuvre. La seule certitude étant la volonté du prince Targaryen d'aider à l'accomplissement d'une vieille prophétie liée à sa famille, qu'on peut constater à travers une vision dénuée d'ambiguïté où Daenerys le voit évoquant une "troisième tête de dragon" juste après la naissance de son fils Aegon, ainsi qu'à travers le témoignage de Barristan Selmy rapportant qu'un jour où il était encore enfant Rhaegar est descendu sur le terrain d'entraînement pour apprendre les armes "parce qu'il semblait qu'il devait être un guerrier"; le dernier témoignage étant celui du vieux mestre Aemon Targaryen, qui a entretenu une correspondance avec Rhaegar à propos de la prophétie du Prince Promis. 

 Malheureusement, forcer le destin est comme vouloir le fuir : il rattrape les personnages ou se dérobe à eux. Qu'on lui ferme la porte, il rentre par la fenêtre; qu'on la lui ouvre en grand et l'invite à entrer, il fera le tour du jardin. 

 

Rhaegar, Arthur et Ashara sont morts, et Aube est retournée dormir aux Météores. Bébé Jon a survécu et bébé Aegon s'est fait fracasser la tête. 

 

 

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05/05/2016
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