Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

L'heure du loup aux Eyrié

 

 

 

 Les Eyrié sont la demeure seigneuriale de la maison Arryn, suzeraine du Val d'Arryn, région de hautes montagnes située sur la côte est de Westeros, entourée par le Conflans au sud-ouest, le Nord au nord et nord-ouest, et des Terres de la Couronne au sud (celles qui dépendent directement de la capitale Port Real). 

 Les Eyrié sont le château le plus haut des Sept Couronnes. Dominés par la Lance du Géant (point culminant de Westeros avec 6700 mètres d'altitude), on y accède par un chemin malaisé et dangereux à travers la montagne, qui traverse trois forts : "Pierre", "Neige" et "Ciel". Les Eyrié sont donc littéralement au-dessus du ciel et le mot anglais signifie "nid d'aigle", ce qui colle bien avec le blason des Arryn, représentant lune et faucon sur ciel bleu.  

 Les Eyrié sont constituées de sept tours, comme les Sept Faces du dieu de la religion officielle de Westeros, mais aussi comme les sept nains transformés en géants pour l'occasion, ce qui ne serait pas la seule fois dans la saga, puisque le nain Tyrion est régulièrement "transformé" en géant, que ce soit par moquerie ou au contraire en guise de compliment. 

 Pour finir, Sansa y est cachée sous l'identité d'Alayne Stone ("pierre"), fille bâtarde de Petyr Baelish, dont seuls Petyr et Lysa Arryn connaissent la véritable identité. C'est là qu'ont lieu l'enterrement et la mort symboliques de notre princesse, et notre fil conducteur sera d'examiner comment cet enterrement s'inscrit à la fois comme une variation sur Blanche-Neige mais prend surtout son sens dans la trame mythologique de la saga, en dévoilant quelques pans de ce qui pourrait être l'histoire originelle des Stark de Winterfell.

 

 Toutes les citations de cette partie sont issues du chapitre Sansa VII, tome 3 A Storm of Swords. Lorsque la citation sera issue d'un autre chapitre, je donnerai la référence.

 Les bases étant posées, nous pouvons entrer dans le vif du sujet ! 

 

~~

 

 

 Elle s'éveilla tout d'un coup, chaque nerf à vif. Il lui fallut un moment pour se rappeler où elle se trouvait. Elle avait rêvé qu'elle était petite et qu'elle partageait encore sa chambre avec sa soeur Arya. Mais c'était sa camériste, et non sa soeur, qui se retournait en dormant, et ce n'était pas Winterfell mais les Eyrié. Et moi, je suis Alayne Stone, une vulgaire bâtarde. Le noir et le froid sévissaient dans la chambre, mais il faisait chaud, sous les couvertures. L'aube n'était pas encore venue. 

 

 Ce sont donc les premiers mots du chapitre. Ils situent la scène à ce moment de la nuit qui précède l'aube, quand elle est la plus noire et l'air le plus frais, et qu'on appelle communément l'heure du loup. La mention de l'aube, dans une petite phrase juste pour elle, rappelle en outre que l'enjeu de la saga n'est pas tant le trône de fer que la (seconde ?)"bataille de l'Aube", celle qui doit sauver Westeros de l'éternelle nuit accompagnant l'hiver éternel. Elle confirme la place de Sansa parmi les personnages principaux de la saga, et participe à la construction de sa dimension mythologique. L'enjeu est donc d'étudier comment cette construction se fait, et pourquoi. 

 D'emblée, bien qu'il s'agisse de deux châteaux bien distincts géographiquement et politiquement, par le biais du rêve de son héroïne, GRRMartin nous indique que Winterfell et les Eyrie partagent une narration commune et qu'en conséquence, parler de l'un reviendra à parler de l'autre au moins métaphoriquement. De fait, dans le conte de Blanche-Neige, le château de sa naissance est aussi celui où son statut de princesse est nié par une méchante reine et où sa vie est menacée. Chez les nains, où la méchante reine la retrouve et où elle meurt, elle n'est pas davantage une princesse, malgré l'affection et l'espèce de culte qu'ils lui vouent : elle s'y cache comme une servante. Si le Winterfell des souvenirs de Sansa n'a rien de menaçant, le rapprochement avec les Eyrie lors de ce chapitre va bousculer quelque peu cette vision.  Ici, il y a bien un détail commun : la chambre "noire et froide" ("black and cold" en vo) rappelle l'étang "noir et froid" au pied du barral, l'arbre-coeur, de Winterfell. Notons en outre que dans la saga, les rêves des personnages correspondent toujours au dévoilement de quelques réalités passées ou à venir et qu'ils sont la seule vie des vervoyants pris dans la toile des racines de barrals. 

 Ce tout premier paragraphe pose donc Winterfell comme le coeur de la nuit, et partant de là, de l'hiver... avec une double face explicite : sous la chaleur des couvertures, dans le "monde des rêves", Sansa est Sansa Stark, l'heureuse princesse qui a encore sa famille, son passé et son avenir, son histoire rassurante toute tracée; hors des couvertures, dans la nuit froide et noire qui précède l'aube, dans la réalité, Sansa est une fille bâtarde, une princesse de seconde zone dont l'héritage est compromis. 

 J'y vois une autre manière de suggérer que le Winterfell des Stark a été bâti sur des rêves qui sont appelés à disparaître après la venue d'une nouvelle aube, révélant une réalité moins reluisante que le racontent les légendes, concernant son histoire ancienne et celle de la dynastie qu'il abrite. En d'autres termes, la Longue nuit ne s'est toujours pas dissipée pour Winterfell (et pour l'histoire ouestrienne ?) et des mensonges rassurants continuent de couvrir une réalité qui l'est beaucoup moins. 

 

 

 Le réveil de Sansa est suivi d'une première description des Eyrié, un château où manque cruellement la vie : 

 

Aux Eyrié, il n'y avait nulle part où aller, et presque rien à faire. Les serviteurs d'âge assuraient que les salles en retentissaient de rires, à l'époque où Père et Robert Baratheon se trouvaient être les pupilles de Jon Arryn, mais ces jours-là remontaient à la nuit des temps. 

 

 Sansa se réveille dans un monde de fantômes et d'ombres du passé et les seuls noms cités sont ceux des morts. Lysa Arryn, veuve de Jon Arryn, a une maisonnée très réduite, elle autorise très peu de visites et mène une vie solitaire. Autant dire que Sansa est aux Eyrié comme dans un tombeau, alors que par la situation physique et symbolique du château - très difficile d'accès et placé au-dessus du fortin "Ciel"- elle était déjà hors du monde des vivants, dans un effet d'inversion avec Winterfell : là-bas, il faut descendre et s'enfoncer dans les cryptes pour trouver les sépultures. Il faut imaginer une mer plate et miroitante, avec un château qui se reflète dans les eaux : nous avons l'au-dessus et l'au-dessous de la mer, que seule l'illusion d'optique fait différents. "Under the sea" - "sous la mer" - est justement l'expression par laquelle un des personnages de la saga (le fou chantant Bariol, que j'évoquerai dans le second article) commence la plupart de ses chansons. En outre, dans le cas de Sansa, la narration n'inclut pas la montée aux Eyrié, qui est passée sous silence; au contraire, le chemin qui la mène jusqu'au coeur de ce royaume des morts commence à la mort par empoisonnement de Joffrey au Donjon Rouge : Sansa traverse alors le bois sacré, puis sous la conduite d'un fou "passeur" descend une grande falaise avant de prendre le bateau. On retrouve dans ce trajet la géographie populaire des zones de transition entre monde de vivants et monde des morts, à savoir une forêt sombre, un "escalier" et un fleuve, une rivière ou un lac qu'il faut traverser, et malgré qu'elle arrive au château le plus haut de Westeros, le récit ne décrit qu'une "descente aux monde des morts".

 L'évocation d'Eddard Stark, père de Sansa, qui avait vécu durant sa jeunesse aux Eyrié, permet de poursuivre le lien entre les Eyrié et Winterfell, et on peut rapprocher la description de ce château sans vie du Winterfell désert que Jon parcourt en rêve, dans le chapitre Jon VII du tome 1 A Game of Thrones, où ce sont les tombes des Stark dans les cryptes qui sont qualifiées de "noires et froides" ("black and cold"). Winterfell, c'est là qu'est enterrée Lady, la louve de Sansa, sacrifiée dans le tome 1 A Game of Thrones pour apaiser la colère - disons la soif de sang - de la reine Cersei. Sansa est elle-même toute pleine du sentiment d'être enterrée vive dans un endroit qui n'est pas son chez elle a priori, un tombeau qu'elle n'a pas choisi, un tombeau où Lord Petyr Baelish/Littlefinger l'a amenée par une série de manipulations et de mensonges, comme elle le lui rappellera plus loin dans le chapitre : 

 

"Pas plus que de m'avoir amenée ici quand vous aviez juré de me ramener chez moi."

 

Le parallèle peut ainsi s'établir entre Littlefinger et Eddard, qui endossent tous les deux le rôle du père/chasseur vis-à-vis de la reine Cersei, et protègent Sansa en tuant chacun une part d'elle : Eddard, dans le premier tome, doit tuer la louve Lady, dont Cersei réclame la peau. Si Eddard tue bien Lady, il fait envoyer la dépouille de celle-ci à Winterfell pour qu'elle y soit enterrée dans le cimetière réservé aux membres de la maisonnée et que Cersei n'ait ainsi jamais sa peau. Littlefinger, lui, enlève Sansa Stark après la mort de Joffrey dont elle est accusée, et la tue symboliquement en l'obligeant à endosser l'identité de sa fille bâtarde, Alayne Stone, et en l'emmenant hors du monde; ce faisant, il soustrait lui aussi la peau (=le nom Stark) de Sansa des griffes de la méchante reine. 

 On imagine alors que l'enjeu pour Sansa serait de s'approprier ce tombeau que sont les Eyrié et de prendre une part active à ses propres funérailles symboliques, une première étape vers une libération. Mais se libérer de qui et de quoi ? Dans le conte de Blanche-Neige, la mort permet de mettre un terme à la menace de la méchante reine et prépare la princesse au baiser libérateur du Prince. Cachée aux Eyrié et dans le Val sous une nouvelle identité, Sansa échappe à la reine-mère Cersei, totalement obnubilée par ses deux cibles principales : sa belle-fille Margaery Tyrell, qu'elle pense être la reine "plus jeune et plus belle" qui lui enlèvera tout ce à quoi elle tient le plus, et son frère le nain Tyrion. Et Littlefinger souhaite la fiancer au jeune, beau et fringant Harry l'Héritier (cousin éloigné du petit lord Robert Arryn - le fils maladif de feu lord Jon Arryn et lady Lysa Tully - et son unique héritier). A priori, le contrat "sauvegarde de la princesse" à l'air en bonne voie, et surtout le schéma est respecté; toutefois, GRRMartin est celui qui a écrit les Noces pourpres après avoir tué Eddard Stark, aussi il y a de grandes chances que le schéma déconne à un moment donné... ou que celui-ci qui joue sur un air connu en cache un autre qu'il nous faudra aller débusquer dans le texte.

 

 Mais poursuivons.

 

Je n'arriverai pas à me rendormir, réalisa Sansa. J'ai la cervelle en ébullition. 

 

 La traduction dit "en ébullition" pour rendre l'anglais "tumult", qui est employé à d'autres reprises très spécifiques dans le texte : une fois pour décrire le bruit assourdissant de la mer, et toutes les autres fois pour une foule humaine qui crie et hurle (au reste, l'eau en ébullition, c'est bruyant !). Ajoutons que les vagues prononcent parfois des mots, à l'adresse de certains personnages (Davos, Brienne et Aeron Greyjoy). Il nous faut donc admettre que le tumulte dans la tête de Sansa puisse correspondre à une ou plusieurs voix qu'une part d'elle a pu percevoir, sans pouvoir rien analyser ni identifier; mais compte tenu du lien très fort entre les enfants Stark et Winterfell et du fait que Sansa rêvait justement de ce château, il est aisé de supposer que le "tumulte" vient de là. On peut se demander pourquoi ce "tumulte" n'est pas plus précis : est-ce à cause de la distance géographique entre les Eyrie et Winterfell ? De l'absence de barral aux feuilles murmurantes ? De la mort de Lady qui aurait coupé court au développement des capacités de change-peau de Sansa ? Son instinct est cependant resté intact, ou plutôt, on peut envisager que le lien avec Winterfell (où est enterrée Lady) est ancré en elle, et ses rêves l'y ramènent, de la même manière que les autres enfants Stark en rêvent ou font des rêves de loups qu'ils ne contrôlent pas. Cela pourrait expliquer la distorsion apparente entre sa conscience clairement exprimée et ses actes guidés par quelque chose de plus profond, comme on en a un exemple flagrant au moment où elle fuit la salle de festin où Joffrey vient de mourir : un deuil qu'elle ne connaît pas s'exprime malgré son désir d'exulter de joie et de soulagement :

 

The bells were ringing, slow and mournful. Ringing, ringing, ringing. They had rung for King Robert the same way. Joffrey was dead, he was dead, he was dead, dead, dead. Why was she crying, when she wanted to dance ? Were they tears of joy ?

(Sansa V, tome 3 A Storm of Swords)

 

"Pourquoi pleurait-elle, alors qu'elle voulait danser ? Etaient-ce des larmes de joie ?" (traduction personnelle de la partie en gras.)

 

 D'autre part, l'éventualité de voix entendues peut se rapprocher des rêves de Jon qui nous sont rapportés par Sam, précisément après la victoire de Stannis sur Mance Rayder, et juste avant que celui-ci n'offre une légitimation et Winterfell au bâtard :

 

"All my dreams are of the crypts, of the stone kings on their thrones. Sometimes I hear Robb's voice, and my father's, as if they were at a feast. But there's a wall between us, and I know that no place has been set for me."

The living have no place at the feasts of the dead. 

(Samwell IV, tome 3 A Storm of Swords)
 
"Les vivants n'ont pas de place aux festins des morts." (traduction personnelle de la partie en gras.)
 

 Dans ce nouveau rapprochement entre Jon et Sansa, l'idée qui ressort est celle de voix de morts qui cherchent à se faire entendre, des fantômes qui semblent vouloir s'échapper de leurs tombeaux, maintenant qu'il n'y a plus de Stark à Winterfell. Cependant, si Jon identifie celles de Robb et d'Eddard, ça n'est pas le cas chez Sansa, où le tumulte reste un tumulte indéfini. La même idée du sommeil troublé par les voix des esprits inapaisés des morts est présente chez la Naine de Noblecoeur, une vieille prophétesse du Conflans qui vit dans un bosquet de barrals coupés (il n'en reste que des souches), et qui est à l'origine de la prophétie du "Prince Promis" rattachée spécifiquement à une branche de la lignée Targaryen.

 

~~

 

 En tous les cas, contrairement aux tomes précédents où elle s'enfouissait dans son lit, au chaud, et se terrait pour dormir et oublier (et pour échapper aux "monstres", puisque Bran à un moment se rappelle comment Sansa expliquait à ses jeunes frères et soeur que sous les couvertures, on était hors de portée des monstres), cette fois-ci elle écoute "l'appel", se lève et va à la fenêtre. Un premier pas vers l'acceptation du "monde réel". Sansa n'est plus une princesse Disney qui poursuit un rêve bleu ou rose où tout serait harmonieux et bien en place, mais une jeune fille qui va tenter de regarder en face la vérité des choses. Et là : 

 

Il neigeait sur les Eyrié.

 

 "Snow" (="neige") est le nom de bâtardise dans le Nord. La phrase est particulièrement mise en valeur dans le texte puisqu'elle constitue un paragraphe à elle seule. La suite immédiate : 

 

Les flocons descendaient lentement, doux et muets comme la mémoire. Est-ce cela qui m'a réveillée ? 

 

 Pour faire un parallèle avec Daenerys Targaryen qui rêve de feu et de dragons, Sansa, elle, à l'heure du loup, a donc explicitement convoqué la mémoire de Winterfell, qui se manifeste sous forme de neige. Une neige qui parle de bâtard, ce qu'est Sansa dans sa nouvelle identité d'Alayne Stone; mais associée à la "mémoire" et au "silence", elle évoque non seulement Jon avec son loup albinos et muet, mais encore exprime une mémoire potentiellement plus ancienne et taboue : une bâtardise originelle des Stark de Winterfell. Mais bâtardise par rapport à quoi et à qui ? 

 Arrêtons-nous un instant sur cette image qui répond à d'autres dans la saga.

Tout d'abord, la mémoire silencieuse comme le loup Fantôme peut être rapprochée d'une des visions de Daenerys lorsqu'elle est en train d'errer dans l'Hôtel des Nonmourants, dans le tome 2 A Clash of Kings : présidant un festin dont les convives gisent massacrés et en morceaux, un mort à tête de loup portant couronne (et voilà un monstre !) lance des yeux un appel à Daenerys, mais reste muet.

 

 In a throne above them sat a dead man with the head of a wolf. He wore an iron crown and held a leg of lamb in one hand as a king might hold a scepter, and his eyes followed Dany with mute appeal.

(Daenerys IV, tome 2 A Clash of Kings)

 

 Ensuite, la devise des Stark est "l'hiver vient" ou "Winter is coming" - Hiver vient - en langue originale. Elle trouve une matérialisation directement dans le nom du siège seigneurial, Winterfell, qui peut s'interpréter à la fois comme le "lieu" où l'hiver s'arrête, où "il est tombé", et celui d'où il rayonne. Si l'expression fait immédiatement penser à la saison, l'absence d'article devant "Winter/Hiver" ouvre une autre perspective, à savoir un nom propre, à l'instar d'Été/Summer, le loup de Bran Stark.

  Le verbe "to fall/fell" est justement celui employé pour la neige qui tombe, et l'association entre l'hiver et la neige est établie dès le premier chapitre de la saga, alors qu'une neige plus épaisse que les "neiges d'été" semble annoncer la fin de la belle saison. Autrement dit, non seulement le parallèle littéraire entre les Eyrie et Winterfell se poursuit, mais encore la neige pourrait constituer la représentation concrète d'un homme ou d'une femme autrefois vivant et à présent oublié, un fantôme du passé.

 Dans ce cadre, la devise des Stark "Hiver vient" ("Winter is coming") prend un sens tout particulier : si "Hiver" fut le nom ou le surnom d'un personnage du passé (ou de son animal fétiche s'il s'agissait d'un change-peau), on peut alors supposer que si "Hiver tombe/meurt", il est susceptible de "revenir" d'entre les morts (au passage, "fell" est aussi un vieux mot anglais pour désigner une colline, et un tertre est une colline artificielle qui sert de tombe).

 Et si c'est le cas, qui serait donc Hiver et quel serait son lien avec le personnage de Sansa, en dehors du fait qu'elle est une Stark de Winterfell ? Quel serait le lien avec son arc narratif et les références au conte de Blanche-Neige ? 

 C'est ce que nous allons tenter de démêler au fil du texte. 

 

~~

 

 Quelques deux ou trois mois avant cette scène, Winterfell a été pris et incendié par Ramsay Snow, fils bâtard de Roose Bolton, qui a fait passer son crime pour celui des Fer-Nés menés par Theon Greyjoy. Winterfell dissipé en fumée arriverait donc par la voie des airs jusqu'aux Eyrie, et son ombre se manifesterait concrètement à Sansa, silencieuse pour les vivants, mais bruyante pour peu qu'on passe de l'autre côté, chez les morts (c'est le "tumulte" empêchant Sansa de se rendormir). On pourra objecter que les cendres ne sont pas des flocons de neige, mais il se trouve que justement GRRMartin les associe à certains moments significatifs, comme ici : 

 

Derrière ses remparts de brique rouge décatis, Astapor brûlait toujours, bien que la plupart des grands brasiers se fussent épuisés, désormais. Des cendres dérivaient paresseusement sur la brise comme de gros flocons d'une neige grise.

(L'Erre-au-Vent, tome 5 A Dance with Dragons)

 

 Notons que le gris est la couleur des Stark et que l'associer à des flocons de neige n'a donc rien d'incongru. D'autre part, les images de la destruction de la cité d'Astapor par les armées de Yunkaï rappellent la destruction de Winterfell par le feu, vue à travers le loup de Bran, Été : les panaches de fumée noire et grasse y ont là aussi l'aspect de gros serpents... un gros dragon noir avec des ailes, par exemple. 

 

 Enfin, dernier point pour relier Winterfell et les Eyrié, le chapitre de Sansa que nous étudions ici est directement précédé d'un chapitre de Jon Snow, où celui-ci se voit proposer pour la seconde fois par le roi Stannis Baratheon, frère de Robert et son héritier (légitime sur le papier, rebelle dans les faits), une légitimation et une récupération de Winterfell et de la suzeraineté du Nord, en tant que fils d'Eddard Stark. Stannis a dans l'idée de s'appuyer sur la puissance du Nord pour conquérir le Trône de Fer. Jon était fortement tenté, car sa position à la Garde de Nuit était devenue incertaine - il y risquait la mort - mais son élection surprise comme Lord Commandant a mis un point final à son rêve. C'est dans ce même chapitre que Fantôme, le loup muet et blanc comme neige de Jon, revient auprès de son "maître", lui rappelant la vacuité et la vanité de ce rêve de Winterfell, car même légitimé, Jon reste un bâtard dans le sang : la présence de Fantôme lui rappelle en effet physiquement que les vieux rois Stark enterrés dans les cryptes du château semblent vouloir le repousser à tout prix. Du moins c'est ainsi qu'il interprète l'hostilité qu'il ressent (mais gardons à l'esprit que lorsqu'il rêve qu'il descend dans les cryptes c'est attiré par une sorte d'appel non identifié.

 À titre de comparaison, lorsque Theon Greyjoy avait pris Winterfell et s'en était proclamé le "Prince", il avait commencé de faire d'horribles et sanglants cauchemars, comme s'il subissait la même répulsion de la part du coeur de Winterfell. Cependant, à y regarder de plus près, ces cauchemars de Theon étaient davantage le signe d'une entrée pleine et entière dans "l'enfer froid des Stark", pour reprendre une expression d'Eddard : comme nouveau "Prince de Winterfell", Theon n'est pas repoussé, au contraire, comme en témoigne le fait qu'il prend part à un festin des morts Stark sans être rejeté; et en effet son sort entre les mains de Ramsay Snow sera une mort au moins symbolique si ce n'est physique pour une part. Cette acceptation du "sang Stark" de Theon trouve confirmation dans le tome 5 A Dance with Dragons, lorsqu'il se fait traiter de "parricide" ("kinslayer"/"tueur des siens") pour les meurtres de Bran et Rickon Stark - avec lesquels il a été élevé depuis ses dix ans à titre d'otage (les liens fraternels ont été noués surtout avec Robb, l'aîné des Stark). Lors de sa visite réelle des cryptes en compagnie de lady Barbrey Dustin, il va jusqu'à se rappeler un ancien roi Stark qui portait le même prénom que lui : Theon, surnommé le "Loup affamé" pour sa soif de conquêtes.

 

 Mais revenons à Jon Snow qui refuse la suzeraineté de Winterfell et éprouve physiquement que ce n'est pas à lui de le relever de ses ruines. Pas dans l'immédiat du moins (ici, je ne fais aucune anticipation, mais je me contente de noter que les choses peuvent changer plus tard dans la saga).

 Par la disposition des chapitres et par le choix des mots, Jon Snow transmet donc symboliquement le relai à Sansa : les flocons de neige ("snow" en anglais), qualifiés de "fantomatiques" ("ghostly", en vo, comme "Ghost", le loup de Jon Snow) sont l'intermédiaire à la fois littéraire et concret. Quant à la "mémoire", elle est liée dans la saga aux pouvoirs de Vervoyant de Bran Stark - petit frère de Sansa. Il lui refile le bébé avec l'eau fraîche du bain. Vas-y débrouille-toi, ma grande !

 Je ne trancherai pas ici sur l'éventuelle magie à l'oeuvre, car la lecture supporte autant l'interprétation d'un lien concret entre les différents loups de la meute Stark, que celle d'un lien symbolique, c'est-à-dire destiné au seul lecteur (et à son désir d'interpréter entre les lignes). D'ailleurs, la neige qui tombe suscite aussitôt chez Sansa le souvenir de la dernière fois où elle a vu Winterfell, le jour de son départ pour Port Real avec le convoi royal. Elle revoit ses habitants et à nouveau sa soeur Arya. Dans la première partie de ce chapitre, le membre de sa fratrie qui lui vient le plus spontanément à l'esprit, c'est elle, et toujours pour des moments de partage heureux. Aucune amertume ni rancune ne vient troubler ces souvenirs, signe indubitable que les querelles des deux soeurs n'étaient peut-être bien que des "querelles d'été"; mais également que Sansa poursuit son chemin vers l'apprivoisement de nouvelles réalités, Arya étant pour Sansa, dans le premier tome A Game of Thrones, celle qui lève le voile sur les vérités dérangeantes susceptibles de briser ses rêves de monde harmonieux pour princesses.

 Le Winterfell de ses souvenirs prend des airs de paradis perdu, un lieu où les enfants ne mouraient pas mais jouaient à se battre, pour de rire. 

 

 

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02/04/2017
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