Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

La reine des neiges

 

 

 

 Elle découvrit sous la neige des ramilles et des branches qu'elle émonda pour planter d'arbres le bois sacré. Des pelures d'écorce lui servirent à figurer les dalles du cimetière. Elle ne tarda guère à avoir ses gants et ses bottes encroûtés de blanc, les mains engourdies de fourmis, les pieds trempés et glacés, mais elle n'avait cure. Seul lui importait le château.

 

 C'est donc sous les dalles du cimetière et près du bois sacré que l'ensevelissement s'achève : Sansa est couverte de neige aux extrémités et le sang a déserté ces dernières. 

 

L'aube se faufila comme un voleur dans son jardin. Le gris du ciel se fit d'un gris plus clair encore, et les buissons, les arbres virèrent au vert sombre sous leur étole de blancheur. 

 

 L'aube grise qui s'est levée et a précédé un jour pas beaucoup plus coloré ne préfigure pas la "bataille de l'Aube" qui doit avoir lieu pour vaincre l'hiver éternel, mais représente une fausse "aube", une illusion où la "reine du Printemps" ne revient jamais parmi les vivants pour fertiliser le monde (comme la cascade "les larmes d'Alyssa" n'atteignent pas la vallée dans leur chute et ne la fertilisent donc pas), mais y reste pour y devenir la reine des neiges, pardon, la "Vierge de Neige". L'idée du rapt de la Jouvencelle est ici explicite et pas nouveau dans la saga puisqu'au-delà du Mur, ce rapt est pratiqué ouvertement avant toute union entre un homme et une femme. La période la plus propice se situe d'ailleurs au moment où l'étoile du Voleur se situe dans la constellation de la Vierge de Lune. 

 On pourrait supposer que notre princesse a retrouvé son bâtard bien-aimé, dans la mort, mais l'aube grise qui entre au jardin sans être invitée suggère que cette mort a été retirée contre une promesse de règne et de jour nouveau. En l'occurrence, Sansa a bien été "enlevée" du Donjon Rouge en pleine nuit, par Dontos manipulé par Littlefinger : elle est passée par le bois sacré et a atteint à l'aube le bateau de Littlefinger croyant qu'il la ramènerait chez elle, à Winterfell. 

 Les couleurs de l'aube sont effectivement très winterfelliennes, avec le gris, le blanc et le vert sombre de la Forêt hantée ou du Bois aux Loups en hiver ; on est loin du printemps, de l'été, de la vie et c'est précisément la vie que désire Sansa, comme en témoignent ses souvenirs d'enfance heureuse... et estivale. Tout ce que Winterfell ne peut de toutes façons plus lui offrir. Notre Blanche-Neige se cherche un nouveau et vrai foyer. Son château de neige exprime cette aspiration, et reproduit en même temps un trait de caractère propre à Sansa : celui de se coucher et s'enfouir à l'abri sous des couvertures, et dormir pour ne s'éveiller qu'au jour, une fois les monstres disparus. Ou quand son prince viendra.

 

 Une fois la construction du château bien avancée, le tout commence à prendre vie, ou plutôt tente de le faire mais sans succès. 

 En réalité, ce semblant de vie, ce sont les habitants des Eyrié qui apparaissent plus ou moins furtivement aux fenêtres pour regarder ce qu'elle fait, comme si des yeux s'ouvraient et se refermaient. Le texte reste ambigu sur ces apparitions : il ne précise jamais si les gens sont aux fenêtres des Eyrié ou à celles de Winterfell.

 

Elle s'affairait à tapoter bien pentu le toit de la grande salle quand elle entendit appeler et, levant les yeux, découvrit penchée à la fenêtre sa femme de chambre. 

 

Etonnant, non ? Poursuivons : 

 

Sansa secoua la tête et se remit à modeler la neige afin d'ajouter une cheminée tout au bout du toit, bien à l'aplomb de l'âtre, dedans. 

 

Oui, oui, vous avez bien lu "l'âtre, dedans" : on voit littéralement à l'intérieur de Winterfell. Comme c'est physiquement impossible, la magie des mots (la traduction respecte bien ici le texte original) nous raconte là comment Sansa a transformé les Eyrié en Winterfell et se les est appropriés. Même Lysa Arryn, dame des Eyrié, semble lui céder la place :

 

Elle aperçut Lady Lysa qui la guignait, du haut de son balcon, dans une robe de velours bleu soutaché de renard, mais un second coup d'oeil lui révéla que sa tante avait disparu. 

 

On notera au passage que le bleu - couleur Arryn - détonne dans cette scène aux couleurs Stark : Lysa est alors d'autant plus l'Etrangère (un autre des Sept), que le bleu est aussi la couleur dominante des Autres, celle de leurs yeux, du froid intense et de la mort, et que Winterfell et le Mur ont été érigés pour protéger les royaumes humains (mais les Stark surtout, à tous les coups) des Autres. D'autre part, le renard est associé à plusieurs reprises à un personnage en particulier : le rusé Tywin Lannister, père de Cersei. La menace représentée par la figure de Lysa ne tient pas ici du fantasme : la voici associée à la fois à Cersei Lannister et aux Autres. Et comme les Autres, Lysa a la capacité de paraître et disparaître en un clin d'oeil. Souvenons-nous cependant que Sansa porte elle aussi du bleu (caché sous son manteau), ainsi que du renard : elle se pose donc ici en rivale directe de Lysa Arryn mais également comme son double... et en partenaire des Autres. En d'autres termes, le personnage de Lysa peut se lire comme une Sansa vieillie, ensevelie dans son château depuis plusieurs années et régnant sur des morts, et son apparition-disparition éclair à sa fenêtre joue le rôle de l'avertissement à la jeune princesse, une triste vérité brièvement dévoilée par un troisième oeil.

 Sansa n'est pas une jeune fille candide et inoffensive : sa virginité est aussi mortelle que l'expérience des reines. Elle se revendique elle aussi en souveraine - et c'est ce à quoi la destinait sa naissance dès sa première apparition dans la saga - mais le prix à payer pour cela en fait un marché de dupes : si on regarde l'histoire de Lysa, à la fin, ils ne vécurent pas heureux et n'eurent pas beaucoup d'enfants. Dans le conte, Blanche-Neige n'a pas choisi son prince, c'est lui qui s'impose à elle.  

 Et justement, à présent que le château a bien avancé et qu'il a sa reine, les prétendants peuvent entrer en scène, pour tenter l'appropriation ou la libération !

 

 

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Vers la 2e partie 

 



02/04/2017
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