Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Le meilleur chevalier du monde

 

 

 

"Garçon, fille..., (...) tu es une épée, voilà tout."

(Syrio Forell à Arya, dans Arya II, tome 1 A Game of Thrones)

 

Il ne faudrait cependant pas oublier l'homme derrière l'épée. Si dans la saga, Arthur Dayne n'est jamais cité sans que son épée et son titre ne le soient également, comme s'ils ne faisaient qu'un, cela ne doit pas nous dispenser d'étudier le porteur de l'épée : en est-il véritablement digne ? Est-il un héros et doit-il forcément l'être ? 

L'Epée du Matin, donc, est-elle à la hauteur de sa réputation ? 

La première mention d'Arthur Dayne l'est par Catelyn Stark se souvenant des gens de Winterfell qui, quinze ans plus tôt, racontaient comment il était mort en combat singulier contre Eddard. On apprend cependant par Eddard que sans l'intervention d'un de ses vassaux, c'est lui qui serait mort. On n'en saura pas davantage sur cette intervention, mais son auteur est un personnage qui a des liens très étroits avec les Anciens Dieux. Il enverra des années plus tard ses deux uniques enfants aider Brandon Stark, fils cadet d'Eddard, dans sa quête de la "Corneille à Trois yeux". .

 

La seconde mention est dans un chapitre du petit Brandon Stark - sept ans - qui rêve de devenir chevalier : il cite les noms les plus prestigieux de la Garde Blanche, ce qui ne renseigne pas sur leur valeur, puisque Bran est davantage friand de contes et de légendes que de la réalité, mais la vue des trois chevaliers de la Garde qui ont accompagné le cortège royal à Winterfell, lui rappelle tous ses héros favoris : or, des trois chevaliers en question, ser Meryn Trant et ser Boros Blount ont des figures quelconques et revêches, sans charisme, aux antipodes de ce qu'en imagine le petit garçon. Et pour comble, Jaime Lannister - le troisième chevalier, très beau et plein de prestance, lui - le poussera du rebord d'une fenêtre dans le vide dans l'intention de le tuer, obéissant à l'injonction de sa soeur la reine Cersei, après qu'ils auront été surpris en plein inceste.   

 La mention suivante est dans un rêve récurrent d'Eddard Stark, lorsqu'il est atteint d'une forte fièvre, après avoir été blessé dans un traquenard tendu par Jaime Lannister (décidément !) : Eddard y revit les événements de la Tour de la Joie, où lui et ses six compagnons ont affronté trois chevaliers de la Garde Blanche. Seuls Eddard et son vassal Howland Reed ont survécu, ce qui suppose que les trois Gardes - dont Arthur Dayne - sont venus à bout de cinq jeunes gens aguerris. Autrement dit, Eddard et ses compagnons n'ont pas eu affaire à des manchots (pardon Jaime !). 

Il faut cependant attendre le second tome (A Clash Of Kings) et surtout le troisième (A Storm of Swords) avec les chapitres de Jaime pour se faire une idée plus réelle de la valeur guerrière d'Arthur Dayne, voire de son esprit chevaleresque. 

Pour Jaime, celui-ci reste le super-modèle, et davantage encore, car il aspirait à être Arthur Dayne. Lorsqu'il prend enfin son poste de Commandant de la Garde Blanche, c'est de retour d'une longue captivité et manchot : sa main d'épée a été tranchée, sa gauche est infiniment moins habile que la droite, mais pour commander une garde d'élite, il doit absolument donner le change. Et c'est à la mémoire d'Arthur Dayne qu'il fait appel, rappelant qu'il a été adoubé par lui sur le champ de bataille et a combattu à ses côtés : il se place en héritier du chevalier, ce qui est plutôt efficace. Mais voyons ser Arthur en action, lors de son combat contre le chevalier Badin, de la Fraternité du Bois-le-Roi, une bande de hors-la-loi de haute volée, tel que Jaime s'en souvient : 

 

 

Le chevalier Badin était un dément, un invraisemblable méli-mélo d’esprit chevaleresque et de cruauté, mais il ignorait superbement ce que peur veut dire. Et Dayne, Aube au poing... En voyant l’épée du bandit si salement ébréchée, ser Arthur avait fini par suspendre l’assaut pour lui permettre d’en prendre une autre. "C’est cette épée blanche que tu as que je veux", lança le chevalier larron lors de la reprise, en dépit du sang qu’il pissait déjà par une douzaine de plaies. "Dans ce cas, vous l’aurez, ser ", rétorqua l’Epée du Matin, et il la lui passa au travers du corps.

(Jaime VIII, tome 3 A Storm of Swords)

 

On voit donc ici le chevalier Badin qui a bien l'air de savoir manier son épée se faire achever par un Arthur Dayne qui lui a proposé d'en reprendre une neuve pour un combat plus équitable. C'est le sacrilège d'oser vouloir porter Aube qui lui vaut une mort immédiate, comme une justice qui s'abattrait sur lui promptement, ou plutôt la foudre divine. Dans l'esprit de Jaime, Arthur Dayne est bien un héros à dimension divine, et le fait qu'il compte parmi les membres légendaires de la Garde Blanche le confirme. 

 

 Dans A Clash of Kings, Bran Stark - qui partage à ce moment des aspirations semblables à celles du jeune Jaime - se souvient d'une réponse de son père lorsqu'il lui demandait qui, parmi les légendaires, était le meilleur chevalier de la Garde Blanche. Dérogeant à mon habitude, je vais mettre ici le texte en anglais, qui me semble plus ambigu que la traduction française, j'expliquerai pourquoi après : 

 

 "Was there one who was best of all?"

 "The finest knight I ever saw was Ser Arthur Dayne, who fought with a blade called Dawn, forged from the heart of a fallen star."

 (Bran III, A Clash of Kings)

 

"Est-ce qu'il y en eut un meilleur que tous les autres ?"

"Le plus fin chevalier que j'aie jamais vu était Ser Arthur Dayne, qui combattait avec une épée appelée Aube, forgée à partir du coeur d'une étoile tombée du ciel."

 

 Outre qu'on retrouve une fois de plus Arthur Dayne associé à son épée Aube et à l'histoire de celle-ci, on voit dans le texte anglais qu'Eddard Stark se garde de répondre directement à son fils. Là où Bran demande qui était le "best of all", et, la tête remplie de contes, pense bien sûr au plus parfait chevalier qui soit - y compris moralement - Eddard élude et répond par "finest", tout en réduisant le champ de son jugement à ses propres connaissances : s'étant battu avec Arthur Dayne, et l'ayant vu par ailleurs dans des tournois, il peut garantir qu'il n'a jamais vu de meilleur combattant. 

Eddard, ici, me semble éviter sciemment de se prononcer sur la moralité de l'Épée du Matin. Cela correspond tout à fait à sa manière de faire : Eddard répugne foncièrement au mensonge. S'il peut contourner une vérité impossible pour lui à dire, il prendra la tangente; s'il ne peut pas, il imposera le silence, comme il l'a fait en ordonnant à son épouse Catelyn de ne jamais le questionner sur la mère de Jon Snow, se contentant de lui dire "il est de mon sang". 

Le passage discret de "best" à "finest" est donc déjà une indication qu'aux yeux d'Eddard, Arthur Dayne était sans conteste un exceptionnel combattant, mais pas forcément la perfection chevaleresque incarnée. Un être humain avec ses failles, en somme, et non pas un héros de légende. Quelles failles ?

La réponse est assez évidente : Arthur Dayne a participé avec le prince Rhaegar à l'enlèvement de Lyanna Stark, qui a mené à la mort du père et du frère aîné d'Eddard, puis à celle de Lyanna, à la rébellion de Robert Baratheon, etc... D'une certaine manière, en accompagnant son prince et en disparaissant avec lui pendant plus d'une année, Arthur a cessé de servir le roi Aerys II et le royaume, et est allé à l'encontre de ses voeux de chevalier de la Garde Blanche. Pire : pour garder une jeune fille qui n'était pas l'épouse légitime, il s'est, avec le Lord Commandant de la Garde Blanche et un autre chevalier de cette même garde, détourné de la protection des enfants légitimes de Rhaegar, ainsi que du jeune frère de celui-ci, et de sa mère enceinte. Ce sont les reproches formulés par Eddard dans le rêve où il revit son arrivée à la Tour de la Joie : 

 

 Et Ned revoyait leurs traits, non point flous, eux, mais clairs et nets comme au premier jour.

Ser Arthur Dayne, l’Epée du Matin, avec aux lèvres un petit sourire attristé. Avec la garde d’Aube, son estramaçon, qui dépassait son épaule droite.

Oswell Whent qui, genou en terre, passait et repassait la pierre sur sa lame. L’émail blanc de son heaume au sommet duquel se déployaient les ailes noires de la chauve-souris familiale.
Et, entre eux, debout dans une attitude de défi, le vieux ser Gerold Hightower, le Taureau Blanc, grand maître de la Garde.

" Je vous ai vainement cherchés, au Trident, disait Ned.

- Nous n’y étions pas, répondait ser Gerold.

- Sans quoi il en eût cuit à l’Usurpateur, ajoutait ser Oswell. 

- A la chute de Port-Réal, tandis que ser Jaime tuait votre roi avec une épée d’or, je me demandais, moi, où vous vous trouviez.

- Loin, très loin, ripostait ser Gerold. Sans quoi Aerys occuperait toujours le Trône de Fer, et notre félon de frère se tordrait déjà dans les flammes des sept enfers.

- De là, j’ai gagné Accalmie pour en faire lever le siège, reprenait Ned. Messires Tyrell et Redwyne ont abaissé leurs bannières, et leurs chevaliers nous ont tous, genou en terre, juré fidélité. Je comptais vous trouver des leurs.

- Nos genoux ne sont pas si souples, rétorquait ser Arthur Dayne.

- Ser Willem Darry s’est enfui à Peyredragon, avec votre reine et le prince Viserys. Je m’attendais que vous eussiez fait voile de conserve.

- Nous respectons la bravoure et la loyauté de ser Willem, disait ser Oswell.

- Mais il n’appartient pas à la Garde, précisait ser Gerold. La Garde ne s’enfuit pas.

- Pas plus aujourd’hui qu’hier, insistait ser Arthur en coiffant son heaume.

- Nous en avons fait le serment ", expliquait le vieux ser Gerold.

 (Eddard X, tome 1 A Game of Thrones)

 

Il ne faut pas prendre tout cet échange pour un copié-collé de la réalité. Eddard est en train de rêver et sous l'emprise de la fièvre, mais il n'en est pas moins important pour ce qu'il nous révèle de sa conception de l'honneur et des serments : celui-ci énumère tous les endroits stratégiques où les gardes royaux auraient dû se trouver, et où ils auraient ainsi pu changer le cours des événements. Seulement, ils n'y étaient pas, les Targaryen ont été renversés et leurs alliés ont finalement ployé le genou devant Robert Baratheon - l'Usurpateur. Dans la vision d'Eddard, ils ont failli à leur devoir, quelles qu'en soient les raisons. Symboliquement, ils n'étaient plus des chevaliers de la Garde Blanche. 

Cependant, pour le lecteur, le parjure n'est plus si évident si on regarde les faits d'un peu plus près : c'est bien Rhaegar qui a ordonné à Arthur Dayne et Oswell Whent de rester avec Lyanna enceinte. On ne sait pas exactement dans quelles conditions Gerold Hightower - le Lord Commandant - est arrivé à son tour à la Tour de la Joie : il venait peut-être chercher le Prince pour mettre un terme à la guerre civile et s'est proposé de rester à la Tour pendant que Rhaegar conduirait les troupes loyales; ou encore, Rhaegar est revenu à Port Real et a envoyé Hightower à la Tour avec de nouveaux ordres. Quoiqu'il en soit, les trois Gardes ont formellement obéi à leur prince, pour garder son enfant à naître, et aider à la réalisation d'une prophétie qui - dans l'esprit de Rhaegar - devait dépasser les simples affaires humains et possiblement aider à la conservation du royaume. Et finalement, que fait Eddard, après avoir tué ces Gardes ? Au vu des deux hypothèses que j'ai formulées plus haut :

 - soit il ne fera que prendre le relais de cette protection - renforcée symboliquement par le fait qu'il soit venu avec six compagnons, comme pour reconstituer une garde royale : tenant peut-être une promesse faite à Lyanna, il fera passer le bébé pour son propre fils et l'élèvera comme tel, au prix d'un mensonge, ceci pour éviter que Robert Baratheon ne le fasse mettre à mort pour son sang Targaryen.

- soit il sauve de la mort un bébé qui y était promis en sacrifice (pour faire "renaître" Illumination et un Prince promis), comme dans le cours de la saga Davos sauvera le jeune Edric Storm (bâtard de Robert Baratheon dont la prêtresse Melisandre exigeait le sacrifice auprès de Stannis) en le faisant échapper de Peyredragon; où comme Jon à son tour pourrait avoir sauvé le bébé de Mance Rayder du sacrifice en l'envoyant à Villevieille avec Sam et Vère (dans le cas d'Edric comme dans celui du bébé de Mance, on ne sait pas s'ils ont été effectivement sauvés, seule la suite pourra nous le révéler, mais l'important ici est qu'il y a eu dans les deux cas une intention volontaire de sauver des enfants promis au sacrifice à cause de leur "sang royal"). 

 

 Nous apprendrons également par Jaime qu'après la bataille, Rhaegar avait apparemment l'intention d'écarter du trône son père Aerys, que la folie  avait de plus en plus gagné. Les trois gardes royaux sus-nommés étaient déjà au courant, mais Eddard Stark ne pouvait évidemment pas l'être. De la même manière qu'il ignorait avec quel sérieux Rhaegar cherchait à favoriser l'accomplissement d'une prophétie. 

 

La figure de l'Arthur Dayne réel est donc déjà teinté d'une forte ambiguïté, entre le combattant et le stratège exceptionnel (il est aussi décrit comme un très bon stratège militaire, par Jaime Lannister, puis par l'ancienne Main d'Aerys, Jon Connington) et le héros de légende qu'il aurait pu devenir en participant activement à un "projet divin" et à une lutte contre les ténèbres et l'hiver éternel.

 

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06/05/2016
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