Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Sous leTrône de Fer. Petites analyses littéraires

Le monstre derrière la porte

 

 

 

 La deuxième barre alla à son tour se fracasser sur les dalles de marbre, puis la troisième. Et à peine Sansa eut-elle touché le loquet que la lourde porte vola gifler le mur de la salle avec un bruit retentissant. La neige s'était amassée tout autour du cadre, et elles en furent souffletées par une rafale mordante qui fit grelotter Sansa. 

 

 Si l'ouverture de la Porte de la Lune semble révéler le vide, ce vide est bien habité une bête furieuse - représentée par la neige, toussa toussa toussa... - qui se précipite à l'intérieur de la pièce en faisant voler la porte contre le mur dès que les barres ne la retiennent plus. Je vais étudier ici trois possibilités qui me sont venues à l'esprit quant à ce que pourrait être cette bête : loup, dragon ou bélier, qui permettent tous les trois d'ouvrir d'autres champs de réflexions et d'interprétations. 

 

  La bête furieuse qui se précipite à l'intérieur de la grande salle rappelle les loups géants des Stark enfermés et cherchant à s'échapper : Vent-Gris aux Jumeaux est retenu à l'extérieur, hors de la salle de festin où son partenaire Robb se fait assassiner, et se jète sur ses geôliers lorsqu'il parvient brièvement à se libérer; Broussaille et Été connaissent eux aussi cette séparation avec Rickon et Bran lorsqu'ils sont enfermés dans le Bois sacré de Winterfell et cherchent à s'en échapper, se cognant aux hauts murs, et Été essayant même de grimper aux arbres et enviant les oiseaux, sans succès. Si ces deux derniers ne manifestent pas leur fureur en attaquant tout être qui s'aventure dans les parages, ils illustrent tout de même comme le fait Vent-Gris ce cloisonnement au coeur d'un lieu où se jouent plusieurs tragédies : aux Jumeaux, il y a le mariage de Roslyn Frey, forcée de jouer le rôle d'appât comme une "pute" ("whore"), et le meurtre d'un roi. À Winterfell, c'est la présence d'autres Frey qui a conduit au retranchement des deux loups et permet la prise de la forteresse par la poignée d'hommes menés par Theon Greyjoy : Bran Stark est ainsi dépouillé de son titre de "Prince" au profit du nouveau maître des lieux, Theon. 

 En d'autres termes, la "reine-corbeau-barral" et le "loup bâtard" cohabitent en un même lieu, et pas vraiment pacifiquement. En effet, notre reine semble avoir fait de ce loup "sa" créature comme l'ourse géante peut être prisonnière du sauvageon Varamyr : dans le prologue du tome 5 A Dance with Dragons, Varamyr dont on a le point de vue précise que cette ourse qu'il possède en tant que change-peau le hait, lui; pourtant, tant qu'il est en pleine possession de ses pouvoirs et de son intégrité physique, elle ne le quitte pas; on apprend par ailleurs qu'il s'est emparé du loup fétiche de son mentor, et qu'il aspirait à s'emparer du loup géant de Jon, Fantôme, qui lui promettait une "vie de roi", liée au prestige et à la puissance de l'animal. On peut alors imaginer que le bâtard change-peau s'est également vu dépouillé de son animal-compagnon en même temps que de sa couronne, au profit de notre méchante reine et de ses héritiers. 

 Régulièrement, cette reine offrirait des proies à dévorer à sa nouvelle créature. Peut-être sa propre faim vient-elle également de là, de cette cohabitation forcée et violente. Comme l'explique Jojen à Bran, lorsque ce dernier apprend à se servir de son pouvoir de change-peau, il ne doit pas oublier qu'il est le garçon Bran, sinon "l'esprit" du loup prendra l'ascendant sur lui et le transformera de l'intérieur. Or, les loups géants sont des chasseurs qui se montrent constamment affamés dans la saga (on les voit essentiellement en train de chasser, tuer et manger leurs proies).

 Notre Blanche-Neige n'a vraiment pas de chance, c'est elle qui s'y colle ce jour pour jouer le dessert offert par lady Lysa au monstre derrière la Porte de la Lune : 

 

 Le vent lui releva les jupes et planta ses dents froides dans ses jambes nues. Elle sentait sur ses joues fondre les flocons.

 

 Les flocons n'ont plus du tout "la douceur des baisers d'un amant" comme au début du chapitre, et l'agressivité des dents sur les jambes nues, ainsi que les jupes relevées ne laissent pas de doute sur la tentative de viol (symbolique) subie ici par Sansa, conjointe avec la tentative de dévorement. En ce sens, le "loup bâtard" qui se cache derrière cette porte est passé du rôle de prince charmant promis à celui de monstre sauvage, exactement comme l'avait fait Joffrey. Il a pris les manières de Marillion, le désir de Littlefinger et la violence de Robinet chéri. 

  On retrouve ce schéma de la bête sous emprise d'un maître dans le personnage du Limier, qui dans sa relation avec Sansa oscille entre la prédation et la protection, et reprend une intéressante variation du rôle du chasseur du conte de Blanche-Neige. C'est en plein enfer de la bataille de la Néra que Sansa va par son chant libérer Sandor Clegane, comme Orphée le fait pour Eurydice (Orphée séduit tous les gardiens successifs des Enfers, du chien Cerbère au couple divin Hadès et Perséphone, mais à la fin il échoue à sortir Eurydice du royaume des morts et en reste séparé, de même que Sansa "libère" Sandor, mais se sépare de lui).  

  Nous avons vu dans le précédent article et même un peu plus haut dans celui-ci l'association du vent et de l'hiver avec "l'esprit du loup" du fait qu'il "hulule". Et si c'est bien la neige qui le définit en tant que "bâtard", elle le définit également en tant que "défunt", car dans le nord, "neige" est aussi synonyme de mort :

 

  "A few words. Three of them can say snow."

"One bird croaking my name was bad enough," said Jon, "and snow's nothing a black brother wants to hear about." Snow often meant death in the north.

(Jon II, tome 2 A Clash of Kings)

 

 Dans le tome 5 A Dance with Dragons, plusieurs chapitres se déroulent dans Winterfell envahi par les nouveaux maîtres du Nord, à savoir les Bolton, et la forteresse est le centre d'une intense et très longue tempête de neige. GRRMartin ne dit jamais explicitement que ce froid et cette tempête sont causés par les fantômes vindicatifs des Stark qui ne sont plus tenus en respect par la présence d'un Stark à Winterfell, mais il conserve l'ambiguïté et suggère que ça puisse être le cas. Les clans du Nord et Theon y croient, en tous les cas, et si la neige tombe dru, le vent hurle comme un loup ("howl"). Cette tempête contribue d'ailleurs à exacerber les tensions déjà très vives entre les différentes factions présentes à l'intérieur des murs, et pousse à la violence, faisant du séjour à Winterfell un lieu d'enfer glacé où le sang est versé. 

 L'association du vent avec les oiseaux, en particulier corneilles et corbeaux, est une constante dans la saga, au point que dans la religion des Fer-Nés, le Dieu des Tempêtes, adversaire éternel du Dieu Noyé, est représenté par une Corneille... et le Dieu Noyé, lui, "festoie dans ses demeures liquides", c'est-à-dire au fond de l'eau, comme le "loup bâtard" sacrifié à Winterfell pourrait lui aussi "festoyer" sous le barral, au fond de l'étang noir. Si le dieu des Tempêtes brise les navires et envoie les hommes au fond de l'eau, c'est le dieu Noyé qui mange. Et du côté d'Essos, qui se met au service de Daenerys, on trouve la compagnie mercenaire des Corbeaux-tornade ("Stormcrows") menée par le flamboyant Daario Naharis. 

 Bouche rouge comme sang, peau/fourrure/plumage blanc comme neige et chevelure noire comme le corbeau, notre Blanche-Neige commence à ressembler furieusement à la bête.   

 

˜˜

  

 Cependant, les velléités dévorantes de la bête derrière la Porte en évoquent également une autre de la saga, carnivore et ailée, et qui produit du vent : le dragon.

 Au moment de la Conquête de Westeros par Aegon Targaryen et ses soeurs, le Val d'Arryn avait d'ailleurs été soumis par Visenya Targaryen, une des soeurs d'Aegon, qui était venue avec son dragon se poser au milieu de la cour des Eyrié et avait emmené le très jeune héritier du Val faire une promenade sur le dos de la bestiole. Un risque mortel qui avait parfaitement été compris puisque sa reine (mère du jeune prince) avait ployé le genou. Ce jeune héritier avait ensuite été marié à une fille Stark. Arryn, Stark, deux reines en présence pour s'affronter, un héritier comme enjeu, tous les ingrédients sont là, le dragon en plus.

 L'histoire ne figure cependant pas dans la saga elle-même mais dans une des oeuvres qui développe l'univers créé par GRRMartin, A World of Ice and Fire. Je l'évoque parce qu'avec le dragon, elle fait entrer dans l'équation le feu et par là même l'été brûlant, et permet d'explorer un aspect symbolique présent dans le conte de Blanche-Neige dont je n'ai pas encore parlé, alors qu'il est un des éléments qui donne sa dynamique narrative à la saga, à savoir les saisons et leur alternance déréglée. Une des interprétations du conte de Blanche-Neige en fait une variation sur le mythe de Perséphone, fille de Déméter déesse de tout ce qui est lié à l'agriculture et la terre nourricière (et voilà notre corbeau toujours réclamant du grain !) : Perséphone est un jour enlevée par Hadès, le souverain des Enfers, après avoir mangé une grenade (le fruit) (parenthèse culturelle : dans l'antiquité, la grenade était un fruit avec une grosse charge symbolique, lié à la vie, à la mort et à la connaissance, symbolique reprise par la suite, notamment dans les peintures chrétiennes de Vierge à l'enfant. A vous les studios). Alors qu'elle recherche sa fille, Déméter refuse de fertiliser la terre, ce qui plonge le monde dans la détresse, et Zeus, le roi des dieux doit arbitrer : Perséphone vivra une partie de l'année chez son nouvel époux et une autre partie chez sa mère, ce qui explique l'alternance des saisons, correspondant à la présence de la princesse sur terre ou sous terre. 

 Le dessin animé de Walt Disney a repris la dimension symbolique du climat, puisqu'après la mise au cercueil de Blanche-Neige la nature dépérit et se couvre de neige, tandis que le printemps revient en même temps qu'arrive le prince qui va enfin réveiller la princesse. 

 Chez GRRMartin, nous avons Sansa qui est emmenée par Littlefinger - époux de la "reine" Lysa Arryn et donc "roi des Enfers" - jusqu'au coeur de son royaume froid et hivernal : 

 

"I don't want her here." Her aunt's eyes were shiny with tears. "Why did you bring her to the ValePetyr ? This isn't her place. She doesn't belong here."

 "Je ne veux pas d'elle ici." Ses yeux brillaient de larmes. "Pourquoi me l'avoir ramenée au Val, Petyr ? Ce n'est pas sa place. Elle n'a pas sa place, ici."

 

 Sansa est elle-même recherchée par Brienne, quête confiée par Jaime qui souhaite tenir le serment fait à Catelyn Stark, et rappelée à l'occasion de la rencontre avec Lady Coeurdepierre. 

 Au lendemain du mariage entre Petyr et Lysa, Petyr partage des fruits avec Sansa et lui offre une grenade, qu'elle refuse, lui préférant une poire : on peut y voir la correspondance avec la grenade mangée seulement en partie par Perséphone et qui permet à Zeus de rendre son arbitrage (= le temps que Perséphone passe avec Hadès sur un an est proportionnel à la partie de la grenade qu'elle a mangée). D'un certain point de vue, Sansa Stark croque donc le fruit d'enfer et meurt, tandis qu'Alayne ressortira bien vivante du royaume des morts que sont les Eyrié. 

 Avec sa chevelure auburn (donc roux foncé), Sansa se place symboliquement du côté de la chaleur et du feu. Son goût pour la chevalerie de chansons, les fleurs, le brillant, les couleurs, la danse, en fait une parfaite "enfant de l'été", et l'hiver arrive progressivement sur Westeros et le monde après sa mort et son enterrement aux Eyrié (entendons-nous bien, je ne dis pas que Sansa est responsable des saisons, je relève la correspondance entre les arcs narratifs des différents Stark et le changement des saisons pour en tirer un sens littéraire). 

 Les "fils" de la reine hivernale Lysa Arryn qui désirent Sansa représentent l'hiver convoitant la chaleur et la force de l'été, un schéma qu'on retrouve un peu plus loin géographiquement... 

  

 Transportons-nous justement au nord, du côté du "loup bâtard" de la saga, à savoir Jon Snow : il est aussi une corneille par son appartenance à la Garde de Nuit, et sa route croise celle d'Ygrid, une sauvageonne "baisée par le feu" (elle est rousse, mais c'est l'expression sauvageonne commune employée pour parler de la couleur vive de ses cheveux) et trouvée endormie dans la montagne enneigée (rappelons-nous, dans le conte de Blanche-Neige, celle-ci est amenée endormie par les Nains au sommet d'une haute montagne, jusqu'à ce qu'un prince vienne la réveiller; la référence est aussi celle de la Valkyrie Brünhilde, condamnée au sommeil par son père Wotan et entourée d'un feu magique, et que seul un héros pourra réveiller par un baiser d'amour) : le Jon qui "réveille" Ygrid n'est pas accompagné de son loup, resté au bas de la montagne, il est pleinement corneille ("crow") à cet instant, ce qui permet à nouveau de jouer sur la corneille hivernale attirée par la chaleur de l'été mais étouffant cette chaleur : en étant fidèle à la Garde de Nuit, Jon trahit Ygrid et provoque sa mort ; notons que la mise à l'écart du loup Fantôme et le refus de Jon d'accepter son don de change-peau empêchent l'union du "loup bâtard" avec la "princesse estivale". Dans cette configuration, le "loup bâtard" aurait dû s'unir à une "princesse estivale" mais une trahison l'a livré à une "reine hivernale", en l'occurrence la Garde de Nuit, commandée depuis le départ de l'expédition du lord commandant Jeor Mormont par Bowen Marsh, lui-même surnommé la "vieille pomme granate" ! Tandis que la "princesse estivale" a été unie à un fils de la "reine hivernale"... à une corneille : Ygrid meurt d'une flèche entre les seins (c'est encore une histoire de pénétration et de viol, donc...), dont Jon remarque l'empennage, en d'autres termes, elle meurt d'un coup d'aile, la "princesse" du bâtard, et la mort lui donne une face de lune :

 

He found Ygritte sprawled across a patch of old snow beneath the Lord Commander's Tower, with an arrow between her breasts. The ice crystals had settled over her face, and in the moonlight it looked as though she wore a glittering silver mask.

The arrow was black, Jon saw, but it was fletched with white duck feathers.

(Jon VII, tome 3 A Storm of Swords)

 

 La scène d'amour entre Jon et Ygrid a lieu sous terre, dans une caverne ténébreuse, où il fait plus chaud qu'au dehors. Quant à Alayne, elle retrouve un temps certes froid mais vivifiant et non mortel en descendant de la montagne vers la plaine. Cependant, le fait qu'elle arrive en pleine nuit aux Portes de la Lune laisse penser que le retour du printemps n'est pas encore pour tout de suite, d'autant que la première personne qu'elle rencontre là-bas est Littlefinger, celui qui précisément a emmené Sansa aux Eyrié et provoqué sa mort symbolique (et sociale). Littlefinger n'a pas encore l'intention de lâcher sa proie comme ça. 

 Autant dans l'arc de Sansa que celui de Jon, l'hiver se situe en hauteur, éloigné de la terre, ce qui à mon sens explique symboliquement la couleur blanche de certains corbeaux : ceux-là ne se sont en quelque sorte pas "brûlé" les ailes en s'approchant trop près du feu de la terre, ils n'ont pas noirci. À l'inverse, la chaleur vient de la terre qui exhale l'été. 

 Ainsi, il me semble que le dragon, parce qu'il vole et crache le feu, est une anomalie monstrueuse, en miroir des corbeaux et corneilles glacés que les arbres et la terre semblent exhaler autant qu'ils exhalent les Autres (dans le tome 5 A Dance with Dragons, si les Autres ne sortent pas de Winterfell, mais l'exceptionnelle tempête de neige vient de ce lieu pierreux et des fantômes qui l'habitent). En d'autres termes, si les saisons sont déréglées, c'est que l'été tombe du ciel et que l'hiver monte de la terre quand cela devrait être le contraire. Le loup a pris des ailes et le corbeau une gueule affamée. Les vers s'envolent et les oiseaux tombent du ciel. 

 

 Et derrière la Porte de la Lune, une bête de l'hiver désire sa princesse de l'été promise et perdue. Ou peut-être son prince promis et perdu, puisque si Jon Snow est loup Stark par sa mère et Corneille par son appartenance à la Garde de Nuit, il serait aussi un dragon par son père caché Rhaegar Targaryen. Sa mort au Mur en fait un dragon glacé (bonbons et chocolats).

 Un peu de chaleur pour retrouver un peu de vie. 

 

˜˜

 

  Pour finir, il me semble qu'on peut voir dans la bête derrière la porte une troisième figure symbolique, celle du bélier - la version féroce et déchaînée de l'agneau : la porte qui s'ouvre brutalement sous la poussée le suggère, puisque le "bélier" fait exactement cela, forcer des portes par des puissants coups de boutoir; "ram" en anglais désigne autant l'animal que l'engin de siège (comme en français), et l'on retrouve ce mot dans Ramsay Snow, le monstrueux bâtard de Roose Bolton, qui épouse une fausse Arya Stark (en fait, Jeyne Poole, l'ancienne amie et demoiselle de compagnie de Sansa) devant l'arbre-coeur de Winterfell. Ramsay est en outre qualifié de "bête dans une peau humaine" et lorsque Theon ressort du cachot de Fort-Terreur dans lequel il croupissait, les créneaux sur château seigneurial tenu par Ramsay lui apparaissent comme les crocs d'une bête féroce, ce qui nous ramène à cette image de bête carnivore (Theon I, tome 5 A Dance with Dragons). 

 On rencontre dans le second tome A Clash of Kings une autre figure de bélier dans le personnage de Craster, l'horrible patriarche incestueux qui vit au-delà du Mur avec toutes ses filles-femmes et offre ses fils en sacrifice à la forêt hantée. Certains racontent même qu'il mange ses enfants, comparés à plusieurs reprises à des agneaux, et une hypothèse (que je développerai dans un article consacré au personnage) lui attribue un véritable cannibalisme : il tuerait et mangerait les patrouilleurs de la Garde de Nuit qui viendraient trouver refuge chez lui pendant leurs patrouilles. Craster est lui-même le fils bâtard d'un ancien membre de la Garde de Nuit, rejeté à la fois par les sauvageons et par la Garde de Nuit (mais utilisé par les deux), ce qui en fait également une corneille bâtarde qui dévorerait sa parentèle (les autres "corbacs"/"crows") et apporterait le froid et l'hiver glacé (le soir de l'arrivée de la Garde de Nuit au manoir Craster, le temps se refroidit, et il est carrément glacé le lendemain matin). 

 Theon Greyjoy, qui ne trouve sa place ni chez les Greyjoy ni chez les Stark mais fait pourtant partie des deux bords, joue sur le même registre à sa façon, d'autant que son appétit sexuel, son côté fonceur et irréfléchi, son désir de gloire et de puissance et son aspiration à une reconnaissance sociale comme "prince" ou "roi" en font un Craster en puissance. 

 Le bélier fait partie des "scapegoat", c'est-à-dire des personnages "boucs émissaires" (agneaux, chèvres, moutons, boucs et béliers), donc offerts en sacrifice, ce qui correspond autant au sort du "loup bâtard" sacrifié au barral de Winterfell qu'à celui qui attend Sansa Stark, habillée de laine d'agneau comme on l'a vu dans un précédent article, et accusée d'une faute qu'elle n'a pas commise. Theon vaincu et vêtu de laine d'agneau (et accusé de crimes qui ne sont pas les siens) doit livrer lui-même à Ramsay Snow le château Moat Cailin tenu par les Fer-Nés, mais aussi Winterfell et la mariée "Arya Stark", de même que la mort de Craster a livré aux corbacs mutinés les filles-femmes de Craster, son manoir et son garde-manger. 

 J'ai déjà eu l'occasion d'analyser des aspects de Ramsay et son mariage à Winterfell dans les précédents articles, et il me suffira d'ajouter que le jour de son évasion, Jeyne Poole est retrouvée nue et couverte de traces de morsures, elle-même prête à "le faire avec les chiens" pour ne pas subir davantage de sévices de la part de son bourreau d'époux.  

 Il y a cependant une véritable ambiguïté chez ces personnages de bâtards (réels comme Craster et Ramsay ou symboliques comme Theon), car ils peuvent représenter le "loup bâtard" transformé par la mort et le séjour prolongé dans le même lieu que la reine-corbeau-barral, aussi bien que la progéniture (bâtarde aussi) de cette reine contaminée et transformée par le contact permanent avec "l'esprit du loup". En d'autres termes, entre change-peaux, il y a échange et influence de part et d'autre : à Winterfell, les rois, lords et leurs enfants sont enterrés dans les cryptes, proches du sang du sacrifié qui a eu tout loisir d'irriguer la terre, les racines des végétaux, les eaux et d'imprégner les murs du château depuis des siècles qu'il est là. Cet "esprit du loup" inapaisé chercherait alors sans cesse sa "princesse promise"/son "prince promis", désir transmis à tout le lignage et régulièrement réactivé selon certaines circonstances. 

 

 Les noces avec la bête sont marquées par la perte de sa chaussure par Sansa :

 

(...) Sansa s'écarta à quatre pattes de la Porte de la Lune et enlaça de ses bras le premier pilier venu. Les battements de son coeur l'étouffaient. Elle avait les cheveux pleins de neige, et il lui manquait sa chaussure droite. Elle a dû tomber... Traversée d'un frisson, elle enserra le pilier encore plus étroitement. 

 

 L'allusion à une chanson de mariage propre à la saga, et qu'on chante pour le coucher des époux - "la reine ôta sa sandale et le roi sa couronne" - ne fait pas de doute, et de la même manière, lorsqu'elle s'envolera pour la première fois sur le dos du dragon Drogon, Daenerys perdra sa chaussure. Pour Sansa, cette perte signifie également que la danse est finie, et comme pour Cendrillon, l'heure a sonné de retrouver ses véritables habits. Ici, ceux d'Alayne Stone la bâtarde d'un oiseau. Étendue aux Stark, la signification symbolique est celle d'une bâtardise originelle de la lignée : les Stark de Winterfell seraient aux Stark d'avant Winterfell ce que Joffrey, Myrcella et Tommen Baratheon sont aux Baratheon.



05/04/2017
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